Cet article a été co-écrit avec Johan Leveque, doctorant CIFRE, La Poste, Université de Bordeaux et KEDGE BS et avec la collaboration de Larissa Belgouzia, cheffe de projets, Centre d’Excellence en Supply Chain, KEDGE BS et Jean-Louis Carrasco, directeur Logistique Urbaine branche Service Courrier-Colis, La Poste.
Face aux nouveaux défis écologiques et aux contraintes grandissantes auxquelles se confronte la logistique urbaine, le Groupe La Poste exploite depuis le mois d’octobre 2020 une flotte de vélos cargos pour livrer les colis dans le centre-ville de Bordeaux. Cette expérimentation d’une année est axée sur l’évaluation de la performance environnementale et opérationnelle de cette cyclo-logistique. En comparaison avec l’utilisation de véhicules de livraison motorisés, les premiers résultats obtenus sont très encourageants.
Le transport de marchandises occupe une part importante du trafic en ville, 10 à 20 %, avec une occupation de la voirie d’environ 30 % (City logistics: a public/private comprehensive approach, M. Savy, 2014). Au niveau environnemental, le transport des marchandises en milieu urbain représente jusqu’à 50 % des émissions de gaz à effet de serre et génère des émissions de polluants atmosphériques de l’ordre de 40 % pour les NOx et 50 % pour les particules fines (Cerema. La logistique urbaine-Connaître et agir, 2015). En 2017, l’agence européenne pour l’environnement estimait qu’en Europe la pollution atmosphérique serait responsable chaque année de 500000 décès prématurés. Dans son rapport publié en 2020 sur la Mobilité urbaine durable dans l’UE, la Cour des comptes européenne estime le coût sociétal de la congestion à 270 milliards d’euros par an.
Face à de tels constats, les collectivités locales cherchent à mettre en place une nouvelle gestion urbaine, incluant de nouvelles formes de logistiques qui s’inscrivent dans une dynamique de croissance verte.
Le vélo cargo : un mode de livraison propre
Face à l’essor du e-commerce et à l’augmentation des flux qui en découle, la cyclo-logistique représente un secteur à fort potentiel au-delà de ses vertus environnementales, car les vélos cargos peuvent permettre des gains de productivité en zone urbaine dense (zéro émission, moindre sensibilité à la congestion, moindres difficultés de stationnement). Néanmoins, la cyclo-logistique se heurte souvent à des difficultés de mise en œuvre opérationnelle relatives à la planification et à l’optimisation des tournées de vélos cargos. En effet, comparé aux autres véhicules utilisés pour la livraison de colis en zone urbaine, les vélos cargos ont une capacité d’emport relativement faible, ce qui implique des recharges de colis. Par ailleurs, les vélos cargos disposent d’une autonomie limitée et ne sont pas conçus pour effectuer de longues distances, les rendant peu performants sur la phase de « haut-le-pied » (temps d’atteinte entre la zone de livraison et le dépôt). Les opérateurs débutent souvent un projet de cyclo-logistique pour la livraison de colis en remplaçant un ou plusieurs véhicules existants par des vélos cargos. Leur utilisation n’est souvent pas optimisée du fait du manque de connaissance en matière d’exploitation des performances de ce moyen de transport. Les pilotes réalisés sur quelques jours ou quelques semaines ne suffisent pas pour dégager des bonnes pratiques pérennes quant à l’utilisation performante de vélos cargos.
In Vivo Cyclo : une année de livraison en vélos cargos
Le Groupe La Poste en partenariat avec le Centre d’Excellence en Supply Chain de Kedge Business School est l’un des trois lauréats de l’appel à projets recherche TRANSLOG 2020 de l’ADEME sur l’axe cyclo-logistique. Le projet InViCy (In Vivo Cyclo) lancé en octobre 2020 repose sur le déploiement
d’une flotte de vélos cargos à assistance électrique pendant une année pour la livraison de colis en milieu urbain dense. Cette expérimentation inédite à l’échelle nationale a pour
objectif le développement d’une logistique du dernier kilomètre décarbonée qui soit pérenne, mais aussi généralisable à l’ensemble des grandes métropoles à l’échelle nationale.
Les modèles d’optimisation généralement proposés à cet effet se fondent sur l’analyse des performances, afin d’identifier si une meilleure optimisation des ressources aurait été
possible. Les limites de cette évaluation a posteriori constituent un verrou scientifique fort. Pour lever ce verrou, les acteurs du projet proposent une logique itérative basée sur les préceptes de l’apprentissage machine en remplaçant les données, généralement simulées, par des données réelles.
Cette démarche scientifique innovante s’appuie donc sur une logique de “in vivo” – simulation-based optimization. L’objectif consiste à évaluer de façon précise et fiable la performance environnementale et opérationnelle de la cyclo-logistique en milieu urbain dense pour la livraison de colis.
Des résultats préliminaires encourageants
Pour répondre aux objectifs du projet, les partenaires réalisent un pilote sur une année complète, de novembre 2020 à novembre 2021, avec cinq vélos cargos opérationnels pour la livraison de colis dans le centre-ville de Bordeaux. En analysant les données issues des suivis de tournées, il est ainsi possible d’identifier un processus préliminaire ainsi que les résultats associés.
Le facteur distribue rapidement ses colis dans les zones commerciales, en utilisant les rues piétonnes signalées par des voies vertes sur le schéma. On remarque une présence au plus près du client final, ce qui renforce l’image de proximité qu’amène le facteur.
Sous l’influence des nouveaux modes de vie et des fortes attentes des citoyens sur les questions environnementales, les villes sont aujourd’hui en pleine mutation. La croissance démographique couplée à l’essor du e-commerce, + 14 % entre 2018 et 2019 au niveau européen (European Ecommerce Report 2019), engendre une augmentation du flux de marchandises en ville. Selon la Fédération e-commerce et vente à distance (FEVAD), en 2017 le nombre de colis livrés en France était de 505 millions, projetant 1 milliard pour 2020. Dans son communiqué de presse du 4 février 2021, la FEVAD détaille le bilan du e-commerce en 2020 et précise : « Les ventes en ligne des enseignes magasins confirment leur progression : + 53 % sur l’année avec des pics à + 100 % pendant les deux confinements. » Pour acheminer les biens achetés en ligne, différents schémas logistiques urbains sont mis en œuvre (livraison à domicile, points relais, consignes), exploitant en majorité des véhicules motorisés à énergies fossiles.
"Face à l’essor du e-commerce et à l’augmentation des flux qui en découle, la cyclologistique représente un secteur à fort potentiel. "
Les facteurs démarrent leur journée au dépôt urbain, localisé en centre-ville, pour effectuer les opérations de chargement des vélos cargos. Ensuite, ils réalisent la distribution des colis en effectuant des tournées. La capacité d’emport relativement faible des vélos cargos peut impliquer un retour au
dépôt urbain pour effectuer de nouveaux chargements associés à de nouvelles tournées. La localisation du dépôt au cœur même de la ville permet de minimiser les pertes de temps et de limiter considérablement les temps d’atteinte sur zone. Le retour au dépôt pour la pause méridienne favorise de nouveaux chargements. Une fois le processus de distribution journalier complété, les facteurs retournent au dépôt urbain pour entreposer les vélos cargos. Ceci constitue un gain de temps comparé aux véhicules traditionnels qui lors de cette phase de retour se dirigent généralement hors du centre-ville. L’exploitation de vélos cargos en zone urbaine dense offre une grande flexibilité face aux variations de la demande. En effet, les vélos cargos effectuant plusieurs boucles dans la journée facilitent l’ajout ou la suppression de tournées. Par rapport à l’utilisation traditionnelle de véhicules de livraison motorisés, de nombreux avantages opérationnels se dégagent. Le principal résulte dans l’agilité du vélo cargo à
circuler dans un espace urbain contraint. En effet, le facteur peut facilement se garer sur les trottoirs et se saisir des colis à livrer via le compartiment de son vélo cargo, qui s’ouvre
rapidement. Les vélos cargos sont soumis à la même réglementation que les vélos et peuvent stationner sur le trottoir tant qu’ils n’encombrent pas la totalité de ce dernier. La circulation de point à point est également nettement facilitée. Un facteur est ainsi en capacité de monter sur son vélo et d’avancer vers le point de livraison suivant sans avoir à se soucier de la présence ou non de places de stationnement,
là où un opérateur en voiture va se voir contraint par ces dernières et effectuera des microtournées à pied depuis son véhicule, en distribuant plusieurs points. Les trajets entre les points de distribution sont considérablement réduits (pas de bouchons, pas de recherche de stationnement, utilisation
des voies cyclables…)
" L’exploitation de vélos cargos en zone urbaine dense offre une grande flexibilité face aux variations de la demande."
Il est ainsi possible de recenser un gain allant jusqu’à plus de 40 %, par rapport à l’utilisation de véhicules de livraison motorisés, sur les éléments suivants :
le temps de route qui correspond au temps pour se rendre d’un point de distribution à un autre;
le temps de séjour qui correspond au temps pour stationner son vélo cargo et aller chercher le colis à l’intérieur du compartiment ; le temps de service qui correspond au temps pour livrer le colis au client, le laisser dans la boîte postale ou laisser une note de passage. De nombreuses pistes d’améliorations sont identifiées au niveau de l’optimisation des tournées et du découpage des secteurs de livraison. En effet, les systèmes d’information actuels sont basés sur des utilisations massives de véhicules de livraison motorisés, ce qui implique un découpage en tournées optimisées au métier de la livraison en voiture. Le métier de la livraison à vélo étant différent, les algorithmes d’optimisation doivent être modifiés pour prendre en compte les caractéristiques d’urbanisme influant sur la qualité des livraisons à vélo et non en voiture.