Quelles leçons tirer de la collision en mer du Nord ?

Supply Chain

publication du 17/03/2025

Laurent Fédi, professeur à KEDGE, Olivier Faury, professeur à EM Normandie et Marina Ple, doctorante à l'université de Caen ont co-écrit un article dédié à l'analyse des conséquences de la collision récente entre un pétrolier et un cargo en mer du Nord.

La collision entre un pétrolier et un cargo en mer du Nord amène à reposer la question de la sécurité maritime. Si les accidents sont plus rares alors que le trafic croît, les dégâts potentiels restent très importants. L’arrivée de nouvelles technologies peut sécuriser la navigation, mais aussi créer de nouveaux risques.

La collision « explosive » entre un navire porte-conteneurs et un pétrolier au large des côtes anglaises, a suscité surprise et inquiétude, lundi 10 mars 2025. Le pétrolier concerné, le Stena Immaculate sous pavillon américain, transportait du kérosène au profit du Tanker Security Program destiné à approvisionner les forces armées américaines.

De son côté, le porte-conteneurs Solong, battant pavillon portugais, était dirigé par un commandant russe. L’accident a engendré un spectaculaire incendie et plusieurs explosions. De nombreux moyens de secours ont été déployés pour tenter de sauver les équipages qui ont dû abandonner leur navire face à l’ampleur de l’incendie et le caractère dangereux des cargaisons. Trente-deux personnes demeurent blessées et un marin est toujours porté disparu et certainement décédé à cette heure.

Un accident rare et atypique

La plupart des pertes de navires résulte de problèmes mécaniques ou de collisions. Toutefois, on observe une nette diminution du nombre d’accidents maritimes, 70 % de moins sur la dernière décennie, malgré l’augmentation du trafic maritime mondial à 12,3 milliards de tonnes en 2024. Cette amélioration est due à une gestion optimisée du trafic, à une réglementation plus stricte, à l’introduction de technologies de communication avancées, à une meilleure coordination entre les acteurs, ainsi qu’à l’adoption de pratiques de navigation plus sécurisées. À notre connaissance, le dernier accident maritime impliquant un navire à l’arrêt a eu lieu au large du cap Corse en 2018.

Si les circonstances précises de la collision restent à déterminer, il s’agit d’un accident pour le moins atypique. Nos recherches sur l’accidentologie dans les environnements arctiques, transposables à ce sinistre en mer du Nord, révèlent que les erreurs humaines figurent parmi les causes les plus fréquentes d’accidents maritimes. Bien que les conditions météorologiques et la densité du trafic soient généralement des facteurs accidentogènes, il convient de noter que le pétrolier était à l’arrêt dans l’estuaire du Humber au moment de l’accident, tandis que la visibilité limitée due au brouillard aurait dû entraîner une vigilance accrue des équipages. D’après l’association Robindesbois.org, lors de son avant-dernière inspection en juillet 24, le Solong présentait 11 défaillances techniques, incluant les systèmes d’urgence et de sécurité dont des alarmes inadéquates, des canots de sauvetage mal entretenus ou encore une boussole de direction d’urgence défectueuse.

Des conséquences graves

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’incendie est circonscrit et l’évaluation des dégâts doit commencer. Les conséquences économiques, humaines et environnementales seront importantes. En outre, la perte des deux navires et de leur cargaison engendre des conséquences économiques significatives.

À moyen terme, la réputation des compagnies concernées sera inévitablement ternie. Par ailleurs, la zone maritime concernée a été fermée par le gouvernement britannique, entraînant un ralentissement de l’activité dans la région, affectant des secteurs tels que le transport et la pêche.

Une forte pollution atmosphérique

Conséquence directe de l’incendie du pétrolier transportant du kérosène (carburant Jet-A1), des colonnes de fumée impressionnantes ont été observées et elles ont sans doute libéré des particules toxiques. Le porte-conteneurs, quant à lui, transportait une quantité indéterminée d’alcool et quinze conteneurs ayant préalablement transporté du cyanure de sodium, un produit hautement inflammable et dangereux en cas d’inhalation.

Cet accident met en exergue la question épineuse du transport de matières dangereuses en conteneur qui est particulièrement accidentogène selon un rapport de l’Agence européenne de la sécurité maritime en 2020.

L’impact sur l’écosystème marin s’annonce préoccupant. Malgré la double coque du pétrolier conçue pour minimiser les fuites, la brèche importante a entraîné des pertes de kérosène. Par ailleurs, la nature exacte du chargement du porte-conteneur reste floue.

Enfin, les deux navires pourraient couler et s’échouer sur les fonds marins. Une telle situation aurait des répercussions durables sur la faune et la flore sous-marines, mettant en péril l’économie maritime et portuaire.

Limiter les risques maritimes ? Une préoccupation ancienne

L’industrie maritime a toujours cherché à limiter les risques associés aux opérations en mer. Pour cela, divers outils et technologies ont été développés afin d’améliorer la sécurité maritime.

Tout d’abord, les équipages sont formés aux scénarios d’urgence grâce à des simulateurs de navigation. Ils peuvent ainsi s’entraîner à toutes les situations de navigation. Quant aux navires, ils sont équipés de systèmes de navigation modernes, tels que le GPS (Global Positioning System), les cartes électroniques, ou encore les radars permettant aux navigateurs de suivre avec précision leur position, d’anticiper les obstacles et de choisir des itinéraires sécurisés. Ces systèmes intègrent souvent des données en temps réel sur les conditions météorologiques facilitant ainsi la prise de décision. À proximité des côtes, les navires sont également assistés par les systèmes de gestion du trafic maritime (VTS pour Vessel Traffic Services).

D’autres technologies comme les dispositifs d’identification automatique (AIS pour Automatic Identification System) aident à géolocaliser les navires, fournissant des informations essentielles sur leur dimension, vitesse et direction. L’ensemble de ces outils permettent, s’ils fonctionnent bien entendu, d’éviter les collisions. En outre, la radio VHF, les satellites et Internet permettent une communication constante entre les navires et les stations côtières pour partager des informations critiques et alerter en cas de problème.

Réglementations internationales

Il convient aussi de rappeler que les navires obéissent à des réglementations strictes définies par l’Organisation maritime internationale l’OMI qui joue un rôle crucial pour la sécurité des navires en imposant des normes de construction et de maintenance. Depuis sa création en 1958, l’OMI a adopté plus d’une cinquantaine de codes et conventions internationales que les États membres doivent faire respecter. Les réglementations internationales telles que la convention SOLAS (Safety of Life at Sea) et la convention COLREG (International Regulations for Preventing Collisions at Sea), imposent des normes de sécurité strictes.

Pour la COLREG, il s’agit de garantir la sécurité de la navigation, en prévenant les abordages ou collisions. Cet instrument comprend plusieurs règles fondamentales dont celle notamment de la veille visuelle ou le recours au radar afin d’évaluer les risques d’abordage en tenant compte des conditions de visibilité et du trafic. Des signaux sonores et lumineux doivent également être utilisés pour communiquer les manœuvres des navires. En outre, les navires doivent maintenir leur cap et leur vitesse, sauf dans certaines circonstances, dont les mauvaises conditions de visibilité.

Lorsque la collision est survenue entre les deux navires, les conditions de visibilité étaient mauvaises, avec une brume relativement dense. On peut donc s’interroger sur le respect de la veille obligatoire de la part du capitaine à la passerelle du Solong et sur le bon fonctionnement de ses équipements radar au moment de l’accident. À cet égard, il faut souligner que le commandant russe a été arrêté par la police anglaise pour « homicide involontaire par négligence grave ».

Nouvelles solutions et nouveaux risques

Dans le futur, les navires autonomes équipés de capteurs avancés et d’IA, pourront décider des itinéraires optimaux et éviter les dangers sans intervention humaine. Des véhicules sous-marins autonomes seront déployés pour des inspections de navires, des recherches et des opérations de sauvetage. Les drones aériens sont déjà en opération pour analyser les conditions météorologiques et surveiller les activités maritimes. Le recours aux big data et aux analyses prédictives vont également fournir des prévisions sur les accidents potentiels en fonction de modèles historiques favorisant ainsi la prévention et la mise en place de mesures de sécurité appropriées.

Ce tragique accident rappelle aussi l’urgence de la sécurisation du transport de substances dangereuses et polluantes. Dans un contexte où l’électrification des flottes est encouragée, il est essentiel de réfléchir aux meilleurs moyens d’assurer la sécurité du transport de marchandises sensibles, notamment celles qui se décomposent en présence d’eau, telles que les batteries de voitures électriques.

La gestion de tous les produits qui contiennent des éléments chimiques réactifs nécessite des protocoles de transport rigoureux et des infrastructures adaptées. Par ailleurs, la responsabilité des entreprises de transport devient cruciale afin de mettre en œuvre des pratiques plus sûres, selon des normes strictes, tout en garantissant la protection de l’environnement.

Des navires autonomes et sans risques ?

Dans un tel contexte, il est essentiel d’envisager la place future des navires autonomes. Étant donné que les erreurs humaines et les défaillances mécaniques constituent les principaux facteurs de pertes des navires, il reste à déterminer comment les systèmes technologiques émergents peuvent contribuer à la prévention de ce type d’accident.

Les navires autonomes, dotés de capteurs avancés et d’algorithmes d’intelligence artificielle, pourraient théoriquement réduire les risques associés au facteur humain notamment en cas de fatigue ou d’erreur manifeste. En intégrant des systèmes de navigation sophistiqués, capables d’analyser en temps réel les conditions météorologiques et d’évaluer les dangers, ces navires, qui commencent à être testés dans certains pays scandinaves, sont susceptibles d’améliorer la sécurité maritime de manière significative. Par exemple, ils peuvent détecter les obstacles proches, éviter les collisions et même recalculer leurs trajets en cas de conditions météorologiques défavorables.

Cependant, il est également important de prendre en compte les défis associés à l’adoption de ces technologies. Les préoccupations liées à la cybersécurité, à la fiabilité des systèmes automatisés et à l’absence de personnel à bord en cas d’urgence soulèvent de nombreuses questions, dont celle de la responsabilité en cas d’accident.

La nécessité d’une stratégie de sécurité maritime intégrée

Si certains d’entre nous sont trop jeunes pour se souvenir des naufrages des pétroliers Erika ou Prestige, il ne faut pas oublier que les accidents en mer, bien que moins fréquents que par le passé, peuvent encore survenir. À l’instar de cette collision entre le Solong et le Stena, ces accidents résultent le plus souvent d’une combinaison complexe de facteurs humains, techniques et environnementaux.

Malgré les progrès significatifs en matière d’accidentologie, il est plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre une stratégie intégrée pour améliorer la sécurité maritime. C’est en alliant progrès technologique et rigueur réglementaire que nous pourrons non seulement réduire le nombre d’accidents en mer, mais aussi garantir la sécurité des transports et des communautés côtières.

La navigation vers un avenir maritime à la fois efficace et durable implique une approche proactive dans l’intégration des nouvelles technologies. La réduction des risques de pollution due aux accidents en mer nécessite une bonne synergie entre réglementations strictes, technologies innovantes et sensibilisation accrue des acteurs de l’industrie maritime, afin de préserver nos écosystèmes et protéger les ressources maritimes pour les générations futures.

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