Cet article a été co-écrit avec Damien Chaney, Professeur, EM Normandie, Eugene Y. Chan, Associate Professor of Marketing, Toronto Metropolitan University Fabien Pecot, Associate Professor in Marketing, TBS Education
Quand une entreprise est confrontée à un passé qui ne passe pas, comment peut-elle réagir ? Silence ? Démenti ? ou ouverture des archives pour mettre tout sur la table ?
À l’exception de celles qui viennent tout juste d’être créées, toutes les entreprises ont un passé. Celui-ci est souvent perçu comme une ressource précieuse, un atout qu’une marque peut mettre en avant pour valoriser son héritage et renforcer sa légitimité. L’histoire d’une marque ou d’une entreprise peut être utilisée comme un avantage concurrentiel pour créer un lien émotionnel avec les consommateurs, en témoignant de sa longévité et de ses racines. Cependant, ce passé peut aussi contenir des éléments qui, s’ils sont (re) découverts, soulèvent des questions et suscitent des réactions. C’est ce que l’on observe dans plusieurs exemples d’entreprises confrontées à des révélations sur leur histoire.
Quand des transgressions passées ressurgissent
Par exemple, en 2021, la Cass Business School a pris la décision de changer de nom pour devenir la Bayes Business School après avoir découvert les liens de son fondateur, Sir John Cass, avec le commerce des esclaves au XVIIe siècle. Ce changement a été accompagné d’excuses et d’une consultation des parties prenantes. De son côté, la SNCF, accusée en 1998 de complicité dans la déportation de Juifs, Roms et homosexuels vers les camps de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale, a d’abord nié, se dédouanant en invoquant l’obéissance aux ordres nazis. Après des années de mauvaise publicité et un procès aux États-Unis, elle a présenté ses excuses, ouvert ses archives et versé 49 millions d’euros de compensation. D’autres entreprises, telles que Lloyds Bank, Hugo Boss ou Chiquita, ont elles aussi été confrontées à leur passé, impliquées respectivement dans le commerce des esclaves, la collaboration avec le régime nazi ou l’utilisation de groupes paramilitaires.
Mais que se passe-t-il lorsque les transgressions passées d’une entreprise refont surface après des décennies ? Continuent-elles de nuire à sa réputation aujourd’hui ? Si oui, pourquoi ? Et que peuvent faire les marques pour en atténuer les conséquences ? Dans un article récemment publié dans le Journal of Business Ethics, nous apportons des réponses à ces questions en examinant la réaction des consommateurs lorsque des transgressions d’entreprise longtemps enfouies sont finalement découvertes.
Un effet négatif sur l’évaluation de la marque
Tout d’abord, s’il est de coutume de dire que le temps guérit toutes les blessures et que des recherches antérieures suggèrent que le temps facilite le pardon, plusieurs expérimentations ont permis de mettre en évidence que les transgressions historiques – quand bien même elles ont eu lieu dans un passé lointain – amènent les consommateurs à évaluer la marque négativement aujourd’hui. Les résultats montrent que cette évaluation négative s’explique avant tout parce que la transgression passée influence négativement la perception de la chaleur de la marque.
Cette « chaleur » fait référence à la façon dont les consommateurs perçoivent la marque comme étant morale, bienveillante, et empathique. Une marque perçue comme chaleureuse est souvent vue comme plus honnête, attentionnée et éthiquement responsable. À l’inverse, si les consommateurs associent la marque à un passé problématique, cette perception de chaleur est fragilisée. Ainsi, une marque ayant transgressé dans le passé perd cette dimension de bienveillance et de moralité, et voit son image auprès des consommateurs se détériorer, ce qui peut conduire à une baisse de la confiance des consommateurs, à une diminution des intentions d’achat, voire à un recul concret des ventes ou un boycott.
Que peuvent faire les marques ?
Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés aux éléments qui pouvaient mitiger ces effets négatifs. On observe tout d’abord que le contexte de l’époque peut constituer une circonstance atténuante. Si le contexte économique et politique exerçait une forte pression sur toutes les entreprises, cela peut être perçu comme une justification acceptable. Les consommateurs peuvent alors penser que l’entreprise n’avait tout simplement pas d’autre choix que de se conformer aux normes de l’époque, réduisant ainsi l’impact négatif de ces actions passées. Par exemple, certaines entreprises ayant opéré sous des régimes autoritaires – comme celles actives sous l’Allemagne nazie – ont pu être perçues comme ayant agi sous contrainte, ce qui atténue partiellement leur responsabilité aux yeux de certains consommateurs.
Nous avons également cherché à savoir quels types de réponses les marques pouvaient adopter face à une transgression historique. Pour ce faire, nous avons mené une expérimentation avec trois groupes de répondants : à chacun, nous présentions la même transgression historique, mais en faisant varier la réponse de l’entreprise. Le premier groupe voyait une simple reconnaissance des faits, le second des excuses publiques, et le troisième une proposition d’indemnisation. Ensuite, les participants devaient tous évaluer la marque. Les résultats montrent que toutes les réponses ne se valent pas : présenter des excuses publiques et proposer une forme d’indemnisation permet de réduire l’impact négatif sur la perception de la marque. En revanche, une simple reconnaissance des faits ne suffit pas à restaurer la réputation et à regagner la confiance des consommateurs.
Assumer son passé
Ces résultats montrent que le passé d’une entreprise, même lointain, n’est jamais totalement enterré – d’autant plus dans un contexte actuel de forte suspicion à l’égard des institutions, où les consommateurs scrutent davantage l’éthique et la responsabilité des marques et où les informations sont plus facilement accessibles qu’auparavant.
Lorsqu’un épisode sombre ressurgit, il peut fragiliser l’image de la marque et altérer la relation de confiance avec les consommateurs. Pour limiter les dégâts, les entreprises ne peuvent pas se contenter d’un aveu minimal : elles doivent reconnaître les faits, exprimer un regret que les consommateurs doivent percevoir comme sincère et pas juste comme un exercice de communication et, lorsque c’est possible, s’engager dans des actions concrètes de compensation. Ce n’est qu’en assumant pleinement leur histoire que les marques peuvent maintenir la relation avec les consommateurs.