Bergamote de Calabre : une filière en difficulté. Prémices d’une crise sociale et environnementale pour le sud de l’Italie

Développement durable

publication du 27/05/2025

Fiammetta CASCIOLI KARIVALIS

Symbole identitaire de la Calabre et pilier économique d’un territoire fragile, la culture de la bergamote est aujourd’hui en danger. Matière première prisée des parfumeurs sous forme d’huile essentielle, ce fruit aux vertus reconnues pour la santé est en crise. Victime de spéculation sur les prix, la qualité, avec des instances de défense et promotion qui se déchirent, des intermédiaires peu scrupuleux sur sa qualité et surtout une rémunération juste des producteurs, cette crise sociale risque de décourager la culture de cet agrume rare qui a trouvé en Calabre des conditions optimales pour sa culture. Au-delà de l’impact agricole, c’est un équilibre écologique, économique, social et culturel tout entier qui est menacé. Fiammetta Cascioli, Professeure à KEDGE Business School et Directrice du MSc Business Transformation for Sustainability explique les causes et conséquences de ce déclin et propose des recommandations. 

Une filière et un terroir uniques en crise structurelle

La production de bergamote de Reggio de Calabre, agrume emblématique, est en crise. Menacée par le changement climatique, un effondrement du prix d’achat qui ne permet plus aux agriculteurs d’en vivre décemment, la réduction des surfaces cultivées, des pratiques opaques sur l’huile essentielle et une concurrence internationale. Cette crise touche l’agriculture mais aussi l’économie locale et la société, mettant en péril des milliers d’emplois et l’équilibre d’un territoire historiquement dépendant de cette culture.

La bergamote est cultivée sur 51 communes le long de 140 kilomètres de côte, dans un climat unique où les vents marins stabilisent la température et l’hygrométrie. « Son histoire remonte au XVIIIe siècle, et sa culture a connu un essor à partir de 1750 à Reggio de Calabre. Autrefois cultivée sur 4 000 hectares, cette surface est désormais réduite à 1 500 hectares », précise Fiammetta Cascioli.

L’essence de bergamote est utilisée en parfumerie, et depuis les années 1990, ses vertus nutraceutiques (réduction du cholestérol, amélioration de l’immunité, vertus anti-stress) ont élargi son utilisation consommée en fruit frais, jus et mis en valeur en gastronomie et pâtisserie par des passionnés de son arôme unique.

Un tissu économique menacé 

« La crise de la bergamote est une crise malheureusement classique en agriculture. La spéculation de certains intermédiaires qui ne respectent pas leurs engagements financiers, plongent avec la chute de son cours d’achat des centaines de producteurs dans une détresse économique », commente l’enseignante. Cette crise se joue pour quelques centimes au kilo, mais avec un prix d’achat diminué par deux, de nombreux producteurs ne peuvent pus en vivre et envisagent de se détourner de cette culture. Pourquoi cet effondrement des prix ? La cause de cette crise est à rechercher dans des dynamiques de nature structurelle (gestion de stocks de la part des clients, crise covid) mais aussi auprès d’intermédiaires dominants qui achetaient au producteurs leur production pour après transformation profiter de marges élevées avec l’huile essentielle prisée par l’industrie de la parfumerie, mais aussi les thés comme le Earl Grey, la cosmétologie et l’aromathérapie. Des intermédiaires peu scrupuleux du devenir des producteurs qui ont réalisé des marges conséquentes en inondant le marché d’huiles essentielles coupées en laboratoire avec d’autres huiles moins couteuses. La production de bergamote n’a pas varié mais ces intermédiaires ont réussi en quelques années à inonder le marché en transformant 150.000 litres d’huile essentielle pure en 2 millions de litres moins nobles mais commercialisées avec un large éventail de prix. 

« Face à cette surabondance d’offre et des cours d’achats qui se sont effondrés, ces intermédiaires préfèrent sacrifier la filière et les producteurs en les décourageant de produire – espérant avec une baisse de la production obtenir plus tard une remontée des cours »

Fiammetta Cascioli

Face à ce désastre économique mais aussi écologique, de nombreux producteurs essayent de sauver la filière en travaillant sur une bergamote IGP de Reggio Calabria – pour bénéficier ainsi d’une traçabilité accrue – afin d’éviter la surproduction actuelle de médiocre qualité, l’effondrement des cours d’achat et pour reprendre la main aussi sur la promotion de ce fruit qui pourrait en fruit frais et agro alimentaire connaître de nouveaux débouchés salvateur pour le maintien de cette production locale. Des milliers d’agriculteurs, ouvriers et artisans dépendent de sa production, transformation et commercialisation. La réduction des surfaces cultivées a entraîné des pertes d’emplois, notamment chez les jeunes. Le déclin de la bergamote menace aussi les traditions calabraises, nuisant à l’attractivité touristique du territoire.

La disparition d’un rempart écologique

Au-delà du désastre humain chez les agriculteurs, cette situation de crise risque de fragiliser cette ceinture verte (Green Belt) qui, à la pointe extrême sud de la Calabre, maintient avec ses vergers de bergamotier une hygrométrie et des températures moyennes régulières. « Ce microclimat lutte contre l'amplification en Italie d'un dérèglement climatique qui, sans cette ceinture verte, prendrait des proportions rapidement inquiétantes, avec une accentuation de la désertification du sud de l'Italie et une augmentation accrue des températures. »

Des potentielles pistes pour sortir de cette crise 

  • Soutenir les producteurs locaux par des financements publics et européens : plusieurs financements sont disponibles, mais ils sont souvent méconnus par les producteurs et malheureusement parfois utilisés à mauvais échéant. Il est essentiel d’accompagner les acteurs locaux pour qu’ils puissent y accéder efficacement : création de coopératives facilitant l’accès direct aux fonds, diffusion régulière d’informations utiles (réunions publiques, newsletters, accompagnement téléphonique), mobilisation des financements régionaux et transparence dans la gestion des flux. Une attention particulière devrait être portée aux aides européennes, en lien avec une meilleure reconnaissance de la bergamote de Reggio Calabria (voir point suivant).
  • Valoriser la bergamote à l’international, en mettant en avant ses bienfaits. La bergamote de Reggio Calabria se distingue par ses propriétés de nature naturopathiques uniques     (antioxydant, fixatif naturel, anti-âge…). Une valorisation de ces bienfaits permettrait non seulement d’acquérir une plus grande reconnaissance au sein de la communauté européenne (et un meilleur accès aux financements) mais aussi de positionner ce produit comme symbole de santé et naturalité, en ouvrant ainsi un accès aux marché internationaux (voir point suivant)
  • Diversifier les débouchés et développer de nouveaux marchés. Compte tenu du niveau de saturation des stocks du secteurs des parfumeurs, il est crucial pour la filière de diversifier ses débouchés afin d’assurer sa survie. Cela passe par une diversification des produits à destination de l’international (jus, glaces, marmelades etc…) mais aussi par l’exploration de marchés géographiques peu ou pas encore exploités.
  • Stimuler le tourisme avec des événements autour de la bergamote. Véritable emblème culturel de la région, la bergamote de Reggio Calabria incarne à la fois une richesse patrimoniale et une source de revenu pour les communautés locales. Son rayonnement permettrait  non seulement d’atteindre d’accroitre sa notoriété, mais aussi de dynamiser le territoire à travers la création de nouvelles activités touristiques autour de ce produit emblématique.

Résoudre cette crise est crucial pour préserver un modèle durable, où agriculture, écologie et développement économique vont de pair. Sauver la bergamote, c’est aussi sauver un territoire, ses habitants et ses traditions.