Et si les chatbots pouvaient soigner les maladies mentales ?

Intelligence artificielle

publication du 16/06/2025

Par Corinne Grenier, professeure à KEDGE Business School, Angélique Chassy, professeure à l’EM Normandie Business School, Antoine Poignant, expert en santé numérique et Jérôme Béranger, docteur en éthique du digital.

Depuis la crise sanitaire covid-19, les chatbots en santé révolutionnent la prise en charge des soins en facilitant le diagnostic et l’accompagnement des patients.

Les premiers chatbots en santé ont été principalement développés pour affiner les pré-diagnostics médicaux. Désormais, on assiste à un véritable foisonnement de nouvelles applications et usages, qui transforment la pratique médicale, donnant naissance à la médecine assistée par l’intelligence artificielle (IA) ou médecine de précision.

Un potentiel important pour améliorer les soins de santé

Les bénéfices actuels ou attendus des chatbots sont nombreux : nouvelles perspectives en matière de pré-diagnostic virtuel, meilleur accès aux soins et amélioration des services médicaux, aide à la préparation d’une consultation (avec la préoccupation croissante des professionnels de santé au « Temps Médical Utile »), soutenir sur longue période l’adhésion et l’observance thérapeutique des patients avec une maladie chronique….

Les chatbots permettent de s’affranchir de certaines contraintes géographiques et temporelles, et la nécessité de lutter contre les déserts médicaux renforce l’intérêt pour ces nouvelles solutions. Une priorité nationale pour 46 % des citoyens. Ils facilitent ainsi la gestion par les professionnels, mais aussi par les patients eux-mêmes, de leurs parcours de soin et de santé. Ces atouts sont de plus en plus mobilisés dans la digital-thérapie.

La digital-thérapie en santé mentale

Le champ de la santé mentale voit l’arrivée massive de nouveaux chatbots. Les enjeux sont considérables. On estime que les maladies mentales et les troubles psychiques touchent près d’un cinquième de la population, soit 13 millions de Français, selon les données l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Selon le ministère de la Santé, les Français sont les plus gros consommateurs de psychotropes au monde. Plus d’un quart des Français consomme des anxiolytiques, des antidépresseurs, des somnifères et autres médicaments psychotropes (données EPI-PHARE). La dépression est l’un des troubles les plus répandus puisque qu’elle concerne environ 15 à 20 % de la population générale. Le suicide est la première cause de mortalité entre 15 et 35 ans.

Au total, avec plus 23 milliards d’euros par an, les dépenses remboursées au titre de la souffrance psychique et des maladies psychiatriques sont le premier poste de dépenses de l’Assurance Maladie, devant les cancers et les maladies cardiovasculaires. Elles représentent un coût global de plus de 100 milliards d’euros avec les pertes de revenus et de bien être induites.

Les chatbots reposant sur l’IA générative, comme Owlie, présentent plusieurs avantages en santé mentale :

  • Accessibilité accrue : disponibles 24h/24 et 7j/7, ils offrent un soutien immédiat, particulièrement bénéfique pour les personnes vivant dans des zones rurales ou souffrant d’isolement social.
  • Réduction des coûts : souvent gratuits ou peu coûteux, ils constituent une alternative économique aux consultations traditionnelles, rendant le soutien psychologique accessible à un plus grand nombre.
  • Anonymat et absence de jugement : les utilisateurs peuvent exprimer leurs pensées et émotions sans crainte de stigmatisation, favorisant une ouverture parfois difficile en face-à-face. L’empathie des IA générative est jugée bonne et parfois meilleure que celle de thérapeutes humains.
  • Soutien complémentaire : ils peuvent servir d’outil d’accompagnement entre les séances avec un thérapeute humain, aidant à maintenir l’engagement et à appliquer les techniques apprises en séance.

Quelques exemples d’application et d’usage

  • Appliquer certaines techniques de la thérapie ACT, comme par exemple : la défusion cognitive (aider les utilisateurs à prendre du recul par rapport à leurs pensées), l’acceptation (encourager l’ouverture aux expériences difficiles), la pleine conscience (guider les exercices d’attention au moment présent), les valeurs (aider à l’identification et à la clarification des valeurs personnelles).
  • Analyser un énoncé : l’IA peut analyser le langage écrit ou vocal pour détecter des schémas linguistiques associés à certaines pathologies mentales.
  • Intervenir de manière ciblée : en ajustant vocabulaire, ton et complexité linguistique pour mieux résonner avec chaque individu ; en proposant des exercices linguistiques spécifiques visant à recadrer les relations verbales problématiques et à promouvoir une plus grande flexibilité psychologique.

D’autres usages sont possibles pour faciliter le parcours de soins : établir un diagnostic clinique, notamment quand la voix aide à détecter des maladies, rechercher le meilleur thérapeute selon les pathologies.

Enfin l’ensemble des données collectées permet d’affiner les modèles eux-mêmes de digital-thérapie et soutenir la recherche médicale en santé mentale.

Gardons un regard éthique sur ces usages

Il est primordial que les systèmes d’IA restent des outils d’assistance et non des décideurs autonomes. L’homme doit demeurer l’agent central dans l’exercice de la médecine digitale, conservant la maîtrise et l’initiative des décisions médicales. Les résultats produits par les systèmes d’IA doivent être soumis à une supervision humaine et une validation finale par un professionnel de santé, qui en reste responsable.

Afin de garantir un usage éthique et sécurisé de la digital-thérapie, il faudrait sans doute :

  • Mettre en place un encadrement adapté aux usages de l’IA en santé, définissant des règles et des bonnes pratiques,
  • Assurer la transparence de l’IA envers ses utilisateurs, permettant aux professionnels de santé et aux patients de comprendre les processus et les données qui influencent les résultats générés par l’IA,
  • Clarifier la responsabilité des différents acteurs impliqués dans la conception et l’utilisation de l’IA,
  • Garantir une protection de la vie privée et une confidentialité des données la plus forte possible.

Alors que ces développements sont à la fois très récents et très nombreux, la formation des professionnels de santé aux usages des chatbots (et du numérique en santé) doit être considérée comme un impératif.

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