Cet article a été co-écrit avec Abdul Noury, Visiting Associate Professor of Politics, New York University Abu Dhabi et Abel François, Professeur de sciences économiques, Université de Lille
Le gouvernement français a prévu d’organiser les 20 et 27 juin prochains les élections régionales et départementales après des hésitations quant à leur maintien ou report éventuel, dans un contexte sanitaire compliqué.
Le débat sur la pertinence du maintien de ces élections enfle dans le pays autour de plusieurs questions portant essentiellement sur la faisabilité du scrutin et de la campagne électorale, alors que les questions relatives à la participation électorale et aux choix de vote sont largement ignorées.
L’étude qui vient d’être publiée dans la revue PloS One apporte pourtant un éclairage important sur les effets de la pandémie de Covid-19 sur les dernières élections municipales de 2020.
La question posée est celle de l’impact de la tenue d’un scrutin en période de pandémie sur la mobilisation électorale.
Quelques études ont été menées depuis le début de la pandémie de Covid-19.
Les analyses traitant des effets de la Covid-19 et des politiques qui y sont associées portent sur quatre pays uniquement et étudient la mobilisation de l’électorat et les suffrages obtenus par les certaines catégories de candidats.
Ainsi, les travaux des chercheurs Leonardo Baccini, Abel Brodeur et Stephen Weymouth ont montré comment le nombre de cas locaux de Covid-19 avait affecté négativement le vote en faveur de Donald Trump ; et ce, quelles que soient les réponses publiques locales à l’épidémie.
Pour l’Espagne, il apparaît que la participation électorale lors des élections locales du Pays basque a été réduite par la présence de la Covid-19.
Cela est confirmé pour les mêmes élections, mais à l’échelle de l’ensemble du pays, sans pour autant que cela s’accompagne de changements significatifs dans la distribution des suffrages.
Les élections locales en Bavière de mars 2020 ont fait également l’objet de deux études.
La première conclut à un effet d’accroissement de la participation et un vote en faveur des candidats sortants en lien avec la mise en place de l’état d’urgence sur le territoire.
La seconde montre que la crise a essentiellement bénéficié au parti dominant dans la région et à ses candidats.
Avec des méthodes et des matériaux variés, elles montrent donc des résultats ambigus sur la participation comme sur les choix de vote.
L’ONG IDEA a ainsi comparé 36 scrutins avant et après la pandémie : dans 12 cas, la participation a augmenté, et dans 14, elle a diminué.
Le cadre des élections municipales de 2020
Le cadre des élections municipales françaises de 2020 offre quant à lui des éléments de réponse très intéressants, car le premier tour a eu lieu au tout début de la pandémie, c’est-à-dire lorsque le risque associé à la maladie ainsi que le risque de contamination étaient très difficiles à estimer pour les électeurs potentiels.
Deux informations étaient alors disponibles au moment du vote : d’une part, un risque plus élevé pour les personnes âgées et l’existence d’un certain nombre de clusters de contamination d’autre part sur le territoire.
La distribution par âge des populations communales permet alors d’approximer le premier risque, les communes comportant une population plus âgée ont un risque accru associé à la maladie.
La distance par rapport à ces clusters (voir carte n°1), quant à elle, permet d’approximer le second risque : dans les villes plus proches des clusters, on peut supposer que le risque perçu d’être infecté est plus élevé que dans les villes plus éloignées.
Les conclusions de notre étude indiquent clairement que le développement de la pandémie a dégradé la participation électorale, tout autre facteur explicatif de cette dernière pris en compte.
Il y a d’abord un effet global se manifestant par une baisse généralisée de participation d’environ 20 % (voir graphique n°1) ; et ce, pour l’ensemble des communes et sans qu’il soit possible de distinguer l’effet pur de la pandémie.
Il y a ensuite un effet localisé lié à la composition de la commune. Ainsi, les communes « âgées », c’est-à-dire dont la proportion de plus de 65 ans est supérieure à la médiane nationale, ont vu leur participation augmenter avec la distance aux principaux clusters de l’époque.
En moyenne, les communes situées à moins de 100 km des clusters ont connu des taux de participation plus faibles de l’ordre de 1,6 à 1,9 point de pourcentages par rapport aux autres communes, comme on peut le voir sur le second graphique.
Pour les communes « jeunes », l’effet de la distance est inverse. Plus celles-ci sont éloignées d’un cluster, plus la participation diminue dans un radius de 250 km autour de ces derniers.
L’étude constate également que la participation a fortement varié en fonction du nombre de listes en compétition ; les électeurs se déplaçant plus massivement là où l’enjeu du premier tour était important, c’est-à-dire là où il n’y avait que deux listes engagées.
Les effets de la participation
Ces résultats posent la question des effets de la participation, et donc de la pandémie, sur les choix électoraux exprimés.
En effet, l’abstention plus importante d’une partie de l’électorat peut avoir des conséquences sur le scrutin.
La sincérité de ce dernier a donc potentiellement été la plus affectée dans les communes proches des clusters par un double phénomène :
une participation accrue dans les communes à profil « jeune »
une participation moindre dans les communes à profil « âgé ».
Il apparaît dès lors important de garder en tête que la pandémie affecte les électeurs différemment en fonction de leur profil et, assez logiquement, en fonction du risque encouru pour aller voter.
Organiser les prochaines élections est tout à fait possible, même si des éléments nouveaux ont été proposés lors des débats parlementaires, comme le vote par correspondance, sans être retenus par le législateur.
Il faut néanmoins savoir que la manière dont les futurs scrutins seront organisés aura des répercussions sur la participation et donc sur le résultat final.
Un déplacement d’une semaine du scrutin n’aura qu’un impact extrêmement marginal.
Car l’épidémie, toujours en cours, a eu et aura des effets sur la participation.