Alors que les tensions géopolitiques s’intensifient – de la guerre en Ukraine à la rivalité sino-américaine – la domination du dollar américain dans l’économie mondiale suscite des interrogations croissantes. Utilisé comme levier d’influence, parfois même comme instrument de sanction, le billet vert cristallise désormais autant de dépendances que de méfiances. Dans ce contexte de fragmentation économique accélérée, l’Union européenne se trouve face à une question stratégique : peut-elle capitaliser sur ces repositionnements géopolitiques pour renforcer le rôle international de l’euro et peser davantage dans l’ordre monétaire mondial en mutation ? Kambiz ZARE, Professeur de géopolitique et International Business propose une analyse de la situation.
Depuis l'étalon-or jusqu'au régime actuel de changes flottants, le système monétaire international a évolué pour accompagner la mondialisation. Bien que le dollar américain ait longtemps assuré la stabilité des échanges, son rôle est désormais remis en question face aux transformations économiques et géopolitiques en cours.
Indexation sur le dollar américain et rôle des banques centrales
L’hégémonie du dollar, renforcée après 1944 avec le système de Bretton Woods, repose sur sa convertibilité historique en or, la puissance économique des États-Unis et la confiance internationale. Même après la fin de Bretton Woods en 1971, de nombreuses monnaies restent partiellement arrimées au dollar, reflet d’une dépendance durable mais de plus en plus contestée.
Les banques centrales, garantes de la stabilité monétaire, continuent de détenir des réserves majoritairement libellées en dollars. Cela assure une liquidité en cas de déséquilibre des paiements. Toutefois, la concentration des réserves autour du dollar soulève des questions stratégiques, notamment sur la souveraineté économique dans un contexte mondial instable.
Des monnaies de réserve en concurrence avec le dollar
Si le dollar reste dominant, il fait face à une montée en puissance relative de monnaies alternatives, comme le Yuan RenMinbi chinois ou l’euro. L’euro demeure le principal concurrent, bien que toujours distancé. La contestation de l’ordre établi repose notamment sur la volonté de réduire l’exposition au risque géopolitique lié au système financier américain.
Géoéconomie : des avantages géopolitiques
La politique extérieure américaine, notamment sous l’administration Trump, a intensifié l’usage d’outils économiques comme instruments géopolitiques. Les sanctions, droits de douane et politiques monétaires ciblées traduisent une nouvelle logique : l’économie devient un levier de puissance. Ce tournant questionne la pérennité du dollar comme instrument central de cet arsenal.
Face à ces bouleversements, les entreprises européennes adaptent leurs chaînes de valeur et leurs partenariats. L’Union européenne, acteur commercial majeur, renforce ses liens avec l’Inde, la Chine, l’Amérique latine, les pays arabes du Golfe Persique et l’Afrique de l’Ouest. Cette diversification, portée par des accords de libre-échange, soutient une réorganisation stratégique dans un monde multipolaire.
Conflit monétaire : la place de l’euro renforcée dans un ordre mondial en mutation
L’euro, longtemps freiné par les faiblesses structurelles de l’UE, gagne aujourd’hui en crédibilité. Le renforcement de son système financier, sa stabilité institutionnelle et son engagement en faveur des marchés ouverts placent l’Union dans une position favorable.
Alors que les États-Unis semblent se replier, l’UE peut affirmer un leadership économique renouvelé et consolider le statut international de sa monnaie.