Restaurants : « Sans mesures d’individualisation, le dispositif d’aide actuel n’est pas viable »

Alimentation, Vin & Hospitalité

publication du 14/05/2021

L’économiste Olivier Gergaud fait un premier bilan de la crise qui a frappé la restauration à la suite des mesures de lutte contre le Covid-19, et plaide pour une remise à plat des aides au secteur.

Le secteur de la restauration a été l’un des plus sévèrement touchés par la crise sanitaire de COVID-19 mais aussi l’un des plus concernés par les différents plans de soutien à l’économie mis en place par Bercy depuis Mars 2020 avec près de 175 000 établissements aidés.

Après plus d’un an de marasme et 6 mois environ de fermeture des établissements, il est temps et désormais possible, d’évaluer les conséquences financières de la crise sanitaire sur ces derniers.

Les documents financiers d’un nombre non négligeable de restaurants commencent en effet à apparaître dans certaines bases de données ; leur analyse est riche d’enseignements et susceptible d’inciter le législateur à adapter, mieux calibrer, son intervention.

La perte de chiffre d’affaires, sur un échantillon de 1 221 établissements est de l’ordre de 20%. Attention toutefois, ce modeste recul ne correspond pas à une année pleine de pandémie.

En effet, la date moyenne de clôture de comptes si situe aux alentours de fin juin 2020 dans l’échantillon.

La baisse est plus marquée, de l’ordre de 25 à 40% environ, lorsque l’on s’en tient aux restaurants dont la date de clôture est plus tardive, au-delà du 31 août 2020 en particulier.

Cette perte est plus prononcée pour les restaurants traditionnels (-26%) et bien plus modérée pour les établissements de restauration rapide (-9%).

Les effets sur la rentabilité économique sont encore plus marqués : -60% sur l’ensemble de l’échantillon avec de nouveau un avantage pour la restauration rapide : -48% contre -66% pour les restaurants traditionnels.

A noter que cet indice de rentabilité tient compte des subventions d’exploitation reçues par l’entreprise. Le ratio d’endettement ou gearing ratio, qui met en évidence la solidité de la structure financière de l’établissement, progresse lui aussi dans des proportions inquiétantes : + 50% pour l’ensemble, +54% pour la restauration traditionnelle et 39% pour la restauration rapide.

Une meilleure présence en ligne

Les institutions financières reflètent cette dégradation claire des comptes des établissements au travers d’une notation en berne de 33% en moyenne (Source : NOTA-PME).

Une minorité de restaurants, 13% seulement, a vu son niveau d’activité progresser durant la période COVID-19.

Les restaurants qui sont parvenus à améliorer leur situation sont à majorité de type restauration rapide (59%) et leur progression reste toutefois modeste (17%).

Principaux enseignements de l’étude

On retire de cette étude trois enseignements.

Le premier concerne la restauration rapide qui s’est mieux adaptée à la crise sanitaire que la restauration traditionnelle grâce à une offre plus facilement adaptable au format de la vente à emporter.

Ce résultat est intéressant et indique que des solutions adaptées existent. Nous devons pointer ces réussites et nous en inspirer.

On retiendra ensuite que la rentabilité s’est très vite dégradée et que l’endettement a vite progressé.

Ce dernier point est clairement le plus inquiétant. Rappelons en effet qu’au début de la crise 1/3 des établissements se trouvait déjà en situation de grande fragilité économique.

La pandémie risque d’engendrer de nombreuses faillites et ce dans un avenir très proche, essentiellement dans la restauration traditionnelle.

Ces résultats préliminaires plaident enfin en faveur d’une aide individualisée des restaurants en fonction de leur profil.

Un travail sur un échantillon plus large sera néanmoins nécessaire afin de confirmer ces premières tendances et déterminer précisément les profils nécessitant le plus de soutien.

Réinventer enfin le marché

La crise sanitaire s’éternise et il faut désormais initier de manière durable la mutation du secteur ; aider les restaurants à faire face de manière pérenne à des mesures de distanciation sociale qui pourraient nous empoisonner l’existence encore pendant quelques temps.

Cette adaptation passe inévitablement par une meilleure présence en ligne des restaurants, encore insuffisamment digitalisés.

L’Etat devrait de toute urgence, et ce n’est pas la première fois que le secteur et ses principaux observateurs lancent cet appel, initier un vaste plan de digitalisation.

Des aides existent déjà mais un véritable accompagnement s’avère nécessaire pour des restaurateurs souvent peu à l’aise avec ces outils.

Il conviendrait également d’aider certaines plateformes de livraison de repas à domicile, comme restoducoin.com, lyon-eats.fr, etc. à se développer.

Ces projets hexagonaux sont des alternatives tout à fait crédibles aux majors du secteur qui taxent lourdement à la fois sur les restaurants (30% environ par commande) et les consommateurs (10% environ ou via un abonnement mensuel).

Ces nouveaux business models, toujours en émergence, peinent à atteindre l’équilibre financier en raison essentiellement d’investissements colossaux.

Ajoutons enfin que l’absence durable de touristes obligera sans doute le secteur à s’adapter par une réduction de l’offre dans ces villes habituellement très prisées par les visiteurs étrangers.

Eviter à tout prix ces faillites coûterait dans le cas contraire très cher aux pouvoirs publics.

Un Grenelle de la restauration ?

Conserver le dispositif d’aide actuel, sans mesures d’individualisation, n’est pas viable et source de nombreuses inefficiences.

Des dizaines de milliards d’euros sont en jeu.

Le temps est venu d’organiser une sorte de Grenelle de la restauration afin de réinventer ce marché auquel nous tenons viscéralement ; et ce afin que gourmets et restaurateurs puissent se retrouver en ligne et/ou physiquement.

Un marché mieux organisé permettra de sauver à la fois des emplois et d’économiser les deniers de l’Etat fortement sollicités de nos jours.

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