Tereos, groupe coopératif spécialisé
Tereos, groupe coopératif spécialisé dans l’industrie sucrière, est un acteur majeur et un fleuron de son secteur d’activité. Comme pour d’autres coopératives agricoles, le bon fonctionnement de ses organes de gouvernance est vital aussi bien pour les 25 000 salariés de l’entreprise que pour les 12 000 producteurs de betteraves sucrières qu’il regroupe. Si les tensions au sein de la gouvernance de Tereos sont latentes depuis plusieurs mois, elles ont pris une nouvelle tournure lorsque des administrateurs ont remis en cause le fonctionnement du conseil de surveillance et demandé l’activation des comités d’audit et des rémunérations.
Cette demande, jugée malvenue, a conduit ces administrateurs à être purement et simplement exclus de la coopérative. Un évènement rarissime dans le monde coopératif agricole. Compte tenu de la taille et des enjeux du groupe coopératif Tereos, ces demandes autour de la mise en place et du bon fonctionnement de ces deux comités au sein du conseil de surveillance peuvent pourtant apparaître comme parfaitement légitimes.
À quoi servent les comités d’audit et des rémunérations ?
En France comme à l’étranger, de nombreuses entreprises se sont dotées depuis de nombreuses années des comités d’audit et des rémunérations. Les travaux que nous avons menés dans le cadre de la Chaire Alter-Gouvernance montrent que les entreprises qui ont fait le choix d’installer ces comités spécialisés au sein de leurs conseils de surveillance ou d’administration ont fait des sauts qualitatifs en matière de gouvernance et de prise de décision stratégique.
Le comité d’audit permet aux administrateurs de développer des connaissances précises qui touchent à la vie de l’entreprise, à son organisation et aux risques auxquels elle s’expose. Les administrateurs sont alors en mesure d’apprécier pleinement les décisions stratégiques et opérationnelles proposées par les dirigeants, voire de les contester. Les travaux du comité permettent également de savoir si les options discutées en conseil sont risquées ou non.
Le comité des rémunérations offre lui des leviers aux administrateurs pour analyser et aligner les rémunérations des dirigeants sur l’atteinte des objectifs stratégiques. Les travaux de ce comité conduisent à définir le package de rémunération, notamment la part fixe et la part variable. Lorsqu’un conseil d’administration ne maîtrise pas les éléments de rémunération des dirigeants, il se prive d’un puissant levier d’action pour orienter le fonctionnement de l’entreprise et contrôler leur action.
Autrement dit, ces deux comités sont indispensables pour que les administrateurs puissent accomplir leurs missions de surveillance et de co-construction de la stratégie avec les dirigeants. Ils permettent de développer des capacités d’analyse et de réflexion qui ne sont pas innées chez les administrateurs. Ils permettent également d’agir concrètement sur le comportement des dirigeants dans l’intérêt de l’entreprise. D’autres comités peuvent par ailleurs éclairer les travaux du conseil en fonction du secteur d’activité de la société : comité d’investissements, d’innovation, stratégique, RSE, etc.
Des comités absents de la plupart des coopératives agricoles françaises
Si l’on se réfère aux prescriptions des codes de gouvernance Afep-Medef et MiddleNExt, la décision des dirigeants de Tereos d’exclure de la coopérative les administrateurs à l’origine de demandes pour reconsidérer le fonctionnement des comités d’audit et des rémunérations est difficilement compréhensible.
Mais la coopérative Tereos est tout sauf une exception en matière de gouvernance. En effet, la plupart des grandes coopératives agricoles (à l’exception notable d’Euralis) ne s’appuient pas sur les comités d’audit et des rémunérations pour organiser leur gouvernance. L’observation montre que les coopératives agricoles ont plutôt tendance à composer et à structurer leur conseil d’administration ou de surveillance en fonction du type de production agricole. A titre d’exemple, le conseil de surveillance de Tereos est organisé en quatre commissions qui sont liées aux productions des adhérents : la betterave, la pomme de terre, la nutrition animale et les affaires publiques. Comme d’autres coopératives, Tereos n’a jamais réussi à activer pleinement les comités d’audit et des rémunérations et c’est précisément ce que les administrateurs exclus de la coopérative reprochent à l’équipe de gouvernance actuelle.
Ce fonctionnement des conseils d’administration ou de surveillance sans comités spécialisés est plus la norme que l’exception dans les coopératives agricoles. Finalement, on ne devrait pas reprocher à Tereos de ne pas avoir activé et mis en place de tels comités puisque l’écrasante majorité des coopératives ne suivent pas ce schéma de gouvernance.
La crise de gouvernance que traverse Tereos témoigne avant tout d’une méconnaissance de la part des coopératives agricoles des pratiques et des structures de gouvernance susceptibles de faire monter en compétence les administrateurs sur des enjeux stratégiques, organisationnels et financiers propres à l’entreprise qu’ils doivent gouverner.
Faire de la gouvernance un enjeu central au sein des coopératives agricoles
Cette méconnaissance devient aujourd’hui problématique, comme l’illustre les difficultés rencontrées aujourd’hui par Tereos. Les grandes coopératives agricoles, qui pèsent plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires et représentent une part majoritaire de l’agriculture française, sont restées sur des schémas de gouvernance historiques. Des schémas centrés sur les enjeux de productions agricoles plus que sur les enjeux stratégiques, financiers et industriels des groupes coopératifs dont ils ont la charge.
L’absence de comités pénalise en premier lieu les administrateurs de coopératives : ceux-ci ne disposent ni des compétences, ni des connaissances, ni des leviers d’action qui leur permettraient de participer activement, et sur un pied d’égalité avec les dirigeants, à la gouvernance des groupes dont ils ont la responsabilité.
Les coopératives agricoles auraient donc tout intérêt à revisiter leurs schémas et pratiques de gouvernance pour aller vers plus de transparence, une meilleure appréhension des risques, et un dialogue permanent entre agriculteurs, administrateurs et dirigeants. Ce sera là un enjeu central dans les années à venir. Sinon, des tensions politiques particulièrement néfastes risquent de naître dans un contexte déjà délicat marqué par l’incertitude, la volatilité des prix et la concurrence mondiale. La généralisation des comités d’audit et des rémunérations apparaît à cet égard comme une évolution indispensable du modèle coopératif agricole français si celui-ci veut perdurer, se développer et rester légitime aux yeux des agriculteurs, des pouvoirs publics et des consommateurs.