Covid-19 oblige, le Salon international de l’agriculture n’aura pas d’édition 2021… mais les sujets de débat et d’interrogation autour du devenir agricole ne manquent pas !
L’agriculture connaît des mutations rapides qui questionnent sur ses possibles évolutions : quels sont les tendances émergentes et les scénarios prospectifs que l’on peut imaginer pour un secteur qui semble peser peu en matière d’emploi mais dont l’importance est majeure dans notre quotidien et notre économie ?
Ce travail de prospective n’a rien de la cartomancie : il s’appuie sur des outils et des méthodes logiques, rationnelles, permettant de dégager des « futurs probables ». Un des éléments clés de la discipline consiste à prendre en compte les signaux faibles présents, dont certains sont annonciateurs de possibles évolutions, voire de révolutions.
Tout l’enjeu étant d’arriver à distinguer, parmi ces signaux, ceux vecteurs de changements importants. En complément, une analyse portant sur l’historique et les tendances lourdes du présent permet de dessiner des pistes et tendances probables.
C’est la combinaison de tous ces points qui permet d’esquisser des scénarios prospectifs pour le futur.
Une seule planète (en surchauffe)
Parmi les premiers éléments concernant l’évolution de l’agriculture, certains font consensus.
Il y a d’abord la dimension démographique : nous serons, selon les estimations de différents organismes, autour de 10 milliards d’humains sur la planète en 2050 (entre 9 et 12 milliards selon la fourchette retenue).
Cela va évidemment constituer un défi en matière de production et de logistique ; mais cela représente aussi une opportunité pour nombre d’acteurs agricoles et de filières agroalimentaires. Une sorte de garantie d’un marché mondial en progression régulière.
Dans ce contexte, un des défis prévisibles concerne un possible goulet d’étranglement côté production.
On sait que l’augmentation de la population implique une urbanisation croissante, avec un étalement qui se produit souvent au détriment des terres agricoles (c’est le phénomène d’« artificialisation des sols »).
La France perdrait ainsi l’équivalent d’un département tous les 10 ans.
La conséquence est facilement imaginable : comment nourrir plus d’humains alors que la ressource en terres diminue ?
Si l’agriculture urbaine ou verticale peut apporter des réponses, celles-ci restent toutefois partielles face à la demande globale.
Autre élément majeur : le réchauffement climatique et son cortège d’effets perturbateurs pour les écosystèmes.
Certaines régions vont devenir de plus en plus arides alors que d’autres seront gagnées par une inéluctable montée des eaux.
Cette situation aura pour double conséquence une pression foncière accrue (il faudra bien reloger les populations) et des terres arables perdues ou rendues impropres à la production agricole.
Selon la FAO, cela pourrait entraîner à terme une modification de notre mix alimentaire, avec davantage de protéines végétales consommées et moins de protéines animales.
Des champs plus verts
Autre élément tangible : la conscience écologique, qui progresse et s’invite désormais dans les programmes politiques et les orientations agricoles.
Il en résulte un « verdissement » des politiques du secteur (à l’image du Green Deal de la prochaine PAC) et des objectifs plus ou moins contraignants, associés à une demande de produits plus respectueux de l’environnement de la part des consommateurs.
Pour le dire de façon caricaturale (une large palette de pratiques existant), les cultures de type bio vont continuer leur progression.
On peut s’en féliciter tout en ayant conscience que cela peut parfois impliquer une baisse des rendements ou une plus grande variabilité de la production.
La volatilité des marchés agricoles, tant côté volume que prix, demeurera ainsi certainement une problématique essentielle.
Dans un document paru en 2020, le ministère de l’Agriculture avait envisagé quatre scénarios prospectifs à ce sujet, en fonction de l’articulation entre écologie, libéralisation des marchés agricoles et circuits de production/distribution.
Une ligne de crête se dessine, à condition de jouer sur quelques paramètres importants : l’évolution des pratiques culturales des agriculteurs, une évolution des habitudes de consommation (au niveau des circuits et des produits) et un nouvel équilibre productif à trouver entre volumes/prix/types de production.
La « révolution cellulaire » est-elle en marche ?
Ces différents scénarios nous conduisent à évoquer une tendance émergente dans le domaine agricole, qui dessine peut-être un virage important.
Alors que l’agriculture connaît des évolutions techniques continues (on améliore les semences, les machines, le travail humain), une possible révolution scientifique émerge, en lien avec des tendances sociétales nouvelles.
Il s’agit de « l’agriculture cellulaire », fruit de différentes innovations scientifiques permettant de proposer, par exemple, de la viande ou du lait de synthèse.
En 2013, un premier steak est produit en laboratoire… au coût exorbitant de 45 000 euros ! Depuis, les avancées se sont multipliées et l’on a vu apparaître fin 2020 à Singapour les premiers morceaux de poulet de synthèse, développés par Eat Just et vendus autour de 60 dollars.
À l’heure actuelle, ce sont près de 500 sociétés, en général des start-up, qui travaillent sur des projets de produits alimentaires de synthèse : viande (Future Meat, Mosa Meat, Just, Aleph Farm, Memphis Meats), lait (Remilk), glaces (Perfect Day), produits associant légumineuses et viandes, etc.
De nombreux entrepreneurs de renom – dont beaucoup de la Silicon Valley à l’image de Sergey Brin (Google) ou de Bill Gates – ne s’y trompent pas et se sont rués dans ce secteur, pensant avoir découvert un nouvel eldorado. Les investissements affluent, accélérant le développement de cette agriculture de synthèse.
Pour certains, il s’agit d’une solution potentiellement magique aux problèmes et goulets d’étranglement évoqués plus haut.
D’autres y voient une fuite en avant technologique qui ne résout pas tous les problèmes, notamment ceux relatifs au réchauffement climatique (il faut beaucoup d’énergie pour produire des aliments de synthèse) ou à la production de masse (les laboratoires ne sont pas encore en mesure de produire de façon industrielle) ; le passage à l’échelle (la « scalabilité ») du modèle semble encore illusoire.
Dans la perspective de cette agriculture cellulaire, nous pourrions nous passer à la fois des terres agricoles et des paysans qui les exploitent. Une sorte d’agriculture « hors sol », faite en labos et salles blanches.
Assisterons-nous dans les prochaines années, les prochaines décennies, à un basculement impulsé par cette révolution technologique ? Sachant qu’une autre bataille se jouera dans les rayons et étals de supermarchés : les consommateurs seront-ils prêts en effet à faire évoluer leur alimentation en soutenant, par leurs achats, une agriculture technologique et moins « terrienne » ?
L'article est à lire aussi sur The Conversation