En juin, mois des marches des fiertés, les marques s’engagent sur les questions LGBTQ+. C’est l’occasion de revenir sur l’origine de cet engagement et son évolution.
Au début, les personnes LGBTQ+ sont absentes de l’univers de la communication et du marketing ou lorsqu'elles sont présentes, sont représentées de manière caricaturale, tournées en dérision.
Les publicités que l’on pouvait voir ne sont pas sans rappeler la culture populaire, il suffit de penser à des films comme La Cages aux Folles. Jusqu'aux années 1980, cette phase n’évolue pas.
On voit surtout des stéréotypes, des clichés, des hommes efféminés, plus rarement des femmes masculines, et c'est à peu près tout.
Ensuite, la pandémie de VIH a eu un certain impact et commence à apparaitre et à être diffusée, jusqu'aux années 90, l'image des hommes gay et des femmes trans comme des vecteurs potentiels et des propagateurs de la maladie.
Dans les messages promotionnels grand public, les hommes homosexuels disparaissent, sauf dans les publicités pour la prévention du VIH.
C'est à la fin des années 90, puis plus complètement dans les années 2000 que le monde du marketing découvre l’univers LGBTQ+, à commencer surtout part la partie LG, lesbien, gay, parce que les personnes trans et bisexuelles ne sont pas encore si visibles.
Et au sein de cette communauté, c’est surtout le public G, gay, qui est visible parce que dans un monde d'inégalité entre les hommes et les femmes, les hommes gays bien que sujets à la discrimination par rapport aux hommes hétéros, gagnent en moyenne plus que les femmes.
Pour de nombreux manuels de marketing américains, ce sont principalement les couples homosexuels masculins DINK, à double revenu et sans enfants, qui constituent le segment de marché idéal.
Sans enfants à charge, avec des salaires combinés, ils sont bien mieux lotis que les couples de lesbiennes, et disposent de bien plus de revenus disponibles pour la consommation en matière de mode, cosmétiques, parfums, voyages, technologie de l’information…
Les titres des livres et articles de recherche nord-américains sont révélateurs : Twenty Million New Customers ! Comprendre le comportement de consommation des hommes homosexuels (1988) ; We're Here, We're Queer, and We're Going Shopping ! Un point de vue critique sur l’inclusion des gays et des lesbiennes sur le marché américain (1996). Les premières agences de publicité spécialisées dans cette cible sont nées pendant cette période. Depuis les États-Unis, ces approches se sont un peu répandues partout, y compris en Europe.
En France, nous devons attendre un peu plus longtemps la publication de ce nouveau genre de manuels de marketing.
En 2003, Jean-Paul Tréguer et Jean-Marc Segati, publicistes, publient Les nouveaux marketings : marketing générationnel, marketing gay, marketing ethnique, en 2005 à sa deuxième édition. En 2007, Yohan Gicquel a publié Le marketing gay.
Devenir une marque gay, est-ce réellement possible ou totalement utopique ? Dans une société de plus en plus décomplexée face à un sujet longtemps resté tabou, les gays revendiquent leurs différences et leur ressemblance.
Une avancée qui a sans doute beaucoup aidé de nombreuses marques à devenir des symboles gay friendly, comme l’illustre cette publicité de l’époque, pour la marque de lessive Vizir (30’).
Cette publicité est de l’agence américaine Leo Burnett. Un article des Echos la décrit ainsi :
"Le spot n'est ni vulgaire ni lourdement caricatural". "Vizir [. . .] a toujours été une lessive un peu plus impertinente, un peu plus "décalée" que les autres... "explique Anna Galais, directrice des relations extérieures chez Procter & Gamble". "La nouvelle campagne Vizir s'adresse en priorité à des jeunes femmes actives", indique Anna Galais . Le recours à un consommateur gay est donc rassurant : il est à la mode et recherche la qualité, légitimant ainsi le prix fort, le prix plus élevé de ce produit par rapport à la concurrence.
Depuis 2010, de nombreuses marques commencent à se décrire comme favorables aux droits LGBTQ+ et à cibler des consommateurs ouverts d'esprit. C'est aussi un moyen de faire parler les gens d'eux-mêmes et d'obtenir une couverture médiatique pour leurs annonces. Ici, le marketing commence également à montrer l'engagement des marques à l'égard de questions politiques même actuelles, comme le mariage pour tous. C'est le cas, par exemple, de cette publicité Renault.
D'un point de vue stratégie marketing, le principal problème est : comment toucher la cible LGBTQ+ et les consommateurs ouverts et amicaux, sans s'aliéner la majorité conservatrice qui pourrait être gênée par ce genre de messages ?
Pour minimiser le risque, on choisit souvent d’utiliser des messages publicitaires vagues (une créativité appelée gay vague), comme c'est le cas dans de nombreuses publicités de mode où de beaux hommes à moitié nus peuvent être amis ou amants ou de modèles présentés comme des lesbiennes (une tendance de la publicité est appelée lesbian chic), qui attirent même l'attention et suscitent le désir des hommes hétérosexuels. Il est aussi possible d’acheter des espaces de publicité uniquement sur des magazines comme Tétu ou des sites web spécialisés, mais pas sur les médias grand public.
Exemple de publicité gay vague par la marque Abercrombie & Fitch
Exemple de publicité lesbian chic par la marque Dolce & Gabbana
Avec l'avènement des médias sociaux, ces approches ne sont plus trop d’actualité. À l'ère de la viralité, il est nécessaire de prendre position sur les grandes questions qui polarisent l’opinion publique.
C'est là que les entreprises doivent s'exposer, avec le risque que les consommateurs réagissent sur les réseaux sociaux en disant que non, ils ne sont pas d'accord avec des messages de haine et des menaces de boycott.
Il n'est pas surprenant que les consommateurs qui réagissent négativement soient appelés haters en anglais. Les marques doivent donc décider comment réagir : par le silence, par l'humour ou encore par la contre-attaque.
Il n'y a pas que les consommateurs conservateurs qui protestent contre les messages favorables aux LGBTQ+. Parfois, ce sont les communautés LGBTQ+ qui protestent contre le "pinkwashing", terme qui désigne le fait d’utiliser ce type de message à des fins commerciales, sans s’engager dans le mouvement.
Et ce qui était tant considéré dans le passé devient normal, voire insuffisant avec le temps. Les grandes marques sont prises entre deux feux comme cela s'est produit l'année dernière, lorsque de nombreuses marques ont déclaré leur soutien au mouvement Black Lives Matter, mais sans aller au-delà des simples déclarations sur les médias sociaux.
Pour mieux comprendre les enjeux actuels des engagements des marques avec les communautés LGBTQ+, comme mieux expliqué dans cette conférence sur le thème des LGBTQ+phobies, il faut s’appuyer sur la notion d'intersectionnalité.
Ce terme, proposé par les féministes noires américaines, souligne comment les situations de privilège et de désavantage ne dépendent pas seulement d'une variable, comme le genre ou la sexualité, mais plutôt de l'intersection de différents aspects de notre identité.
Les analyses des problèmes de justice sociale, et donc les solutions qu’on peut trouver, si elles ne tiennent pas compte de la complexité des identités, finissent par ne profiter qu'à certaines personnes.
Par exemple, un homme gay et une femme lesbienne se trouvent dans des circonstances nettement différentes, car les hommes gays bénéficient, dans les sociétés patriarcales, d'avantages dont les femmes sont privées.
Une femme lesbienne mais de la bonne classe sociale pourra beaucoup plus facilement faire valoir ses droits et ne pas être discriminée qu'une femme lesbienne pauvre, et ce d'autant plus si cette femme est également une immigrante ou ne parle pas bien la langue du pays dans lequel elle se trouve.
Dans le cadre du projet StationK, le centre d'expertise Industries Créatives et Culture et le groupe Humanités de KEDGE Business School présentent une conférence sur le thème des LGBTQ+phobies.
Cette notion n'est pas encore très connue dans le monde du marketing. Elle est peu utilisée et a été souvent comprise de manière partielle.
Le marketing auprès de la communauté LGBTQ+ est un marketing unidimensionnel, qui cible les plus riches et odans lequel la communauté est traitée comme un bloc unique, sans faire de distinctions.
C'est un marketing qui ne se souvient que la communauté existe que pendant le mois de la Fierté (mois des fiertés ?), avec des campagnes arc-en-ciel et parfois avec le lancement de lignes de produits ou de gadgets dédiés comme des t-shirts, des baskets, etc.. Ce type de campagne marketing ne propose pas ou peu d’actions le reste de l'année.
C'est un marketing qui cible surtout les hommes gays et moins les femmes lesbiennes, où les personnes bisexuelles ou trans sont moins prises en compte. On qualifie ces campagnes comme Q+ - queer et plus – par peur d'exclure quelqu'un, mais les autres identités ne sont pas vraiment au centre d’interventions ponctuelles.
Ici et là, certaines entreprises montrent des signes timides d'une plus grande considération à cet égard. Dans le monde du sport, où les trans MTF sont au centre d'une grande controverse, Nike a innové.
La marque a fait de la diversité sous toutes ses formes (genre, race, sexualité, handicap, etc.) un cheval de bataille dans sa communication, avec des campagnes même courageuses et risquées.
Pourtant, Nike n'a jamais consacré de grandes campagnes à son soutien aux femmes trans, précisément parce que la question est trop controversée. Sur sa chaîne Youtube, il y a une vidéo dédiée à l'athlète Chris Moiser, qui est un homme trans :
Il s’agit d’une publicité quelque peu cachée, qui n'est pas mise trop en avant par Nike. Gilette a fait mieux, avec des nouvelles représentations de la masculinité – pensons à son spot courageux sur la masculinité toxique qui malheureusement n’a pas été trop apprécié, et une campagne récente de Gilette France avec laquelle la marque a montré plusieurs hommes, y inclus un homme trans
Le monde de la responsabilité sociale des entreprises nous réserve parfois quelques surprises, surtout cette année. Google, s'inspirant du fait que les recherches sur les femmes trans noires avaient fortement augmenté en 2020, a réalisé une vidéo de soutien diffusée sur Twitter, précisant qu'il ne s'agissait pas seulement d'une publicité, mais aussi d'un don à l'institut Marsha P. Johnson :
Est-on pour autant trop optimistes à penser que le monde des affaires, ancré dans le système capitaliste, puisse apporter des révolutions sur les questions de justice sociale ? Il est évident que les États, les instances supranationales comme l'Union européenne ou les Nations unies, le monde de l'économie sociale et solidaire, le monde associatif doivent chacun s’engager et prendre ses responsabilités.
Mais parfois en retard, parfois mal, le monde du business peut aussi contribuer à sa façon. Des suggestions pour les marques : Ne pas attendre uniquement le mois de juin pour communiquer en incluant le mouvement LGBTQ+ . – Ces questions demeurent importantes toute l’année.
Mieux comprendre la notion d’intersectionalité, qui peut être une des clés pour des campagnes vraiment inclusives. Et aligner le marketing avec la RSE et les stratégies d’inclusivité dans les ressources humaines – on pourra ainsi éviter ce que tu les monde dit quand on voit des logos des marques des couleurs arc-en-ciel : que c’est « que du marketing ».