Diego Armando Maradona est mort à l’âge de 60 ans. Des foules se sont massées autour de son cercueil pour lui rendre un dernier hommage à la Casa Rosada, à Buenos Aires. À Naples, sa seconde maison (en 2017, Maradona avait reçu la citoyenneté honoraire de la ville), le deuil citoyen a été décrété. Partout dans le monde, la nouvelle a fait la une. En France, le Président Macron a rédigé un communiqué passionné à l’occasion de la mort du champion argentin, avec un début de réponse à l’éternelle question : qui est le meilleur de Maradona ou Pelé ? Pour le président français, il s’agit bien évidemment de Maradona qu’il définit comme « le souverain incontesté du ballon rond ».
Comment expliquer l’extraordinaire popularité de Maradona, au-delà même du monde du football ?
Certes, Maradona a gagné la coupe du monde avec l’équipe argentine. Il a aussi tout gagné avec celle de Naples, une équipe qui n’avait presque rien remporté dans toute son histoire et qui, avant son arrivée, luttait pour survivre dans la série A (la première ligue italienne). Mais dans le même temps, il menait une vie marquée par des scandales (relations extraconjugales et addiction à la drogue).
Alors, comment expliquer la fascination pour ce personnage controversé qui dépasse le domaine du foot et du sport pour acquérir une « vie sociale » qui lui était propre, comme le dirait Bernard Cova ?
Maradona, l’icône
Comme le dirait Douglas Holt, Maradona est devenu une icône culturelle en étant reconnu par une grande majorité comme le symbole universel de la justice sociale. Avec Maradona, la justice sociale se manifeste dans la lutte des derniers, des pauvres, des sans pouvoir contre la force écrasante des puissants. Il incarnera pleinement ce symbole lors du match contre l’Angleterre, au mondial du Mexique ‘86. Dans ce match, Maradona marquera deux buts – celui de la triche, « la mano de dios » – et celui du génie, le plus beau but de l’histoire du Mondial (« le but du siècle ») où, en partant du centre, il se débarrassera tout seul de six joueurs avant de marquer. Bien plus qu’un match de foot, cette victoire fut vécue par les Argentins comme une revanche sur l’humiliation subie quatre ans auparavant dans la guerre contre les Anglais pour les Falkland. À Naples, la capitale de l’ex-Royaume des Deux-Siciles, Maradona deviendra l’icône de toute l’Italie du sud, méprisée par les supporters du nord. Avec Maradona, Naples et les Napolitains deviennent les sans-pouvoirs qui s’emparent du pouvoir. L’ère Maradona donnera à l’équipe, qui dans toute son histoire n’avait gagné que deux coupes d’Italie : 2 championnats, 1 coupe d’Italie, 1 supercoupe d’Italie, 1 coupe UEFA Europa League.
Maradona, le héros
La vie de Maradona, avec ses hauts et ses bas, décrit le parcours du héros de Joseph Campbell. Comme tous les héros mythiques, Maradona est un enfant prodige (« el pibe de oro ») qui découvre son véritable superpouvoir suite à la rencontre avec une entité révélatrice – le ballon de foot. On perçoit cette dimension « héroïque » dans la célèbre vidéo d’un tout jeune Maradona qui dit avoir deux rêves : « le premier est de jouer au mondial, le deuxième est de gagner le mondial ». Une fois adulte, le héros Maradona entreprend un voyage vers une terre inconnue, l’Europe, pour affronter des défis qui contribueront à bâtir sa légende. Dans tout mythe, le héros se heurte à de nombreuses difficultés, et Maradona n’échappera pas à la règle. Il rencontrera des obstacles (la direction du FC Barcelone, celle du SSC Napoli, ou les organisations sportives internationales), des « méchants » (les meilleures équipes espagnoles et italiennes), et des adjuvants (ses compagnons et coéquipiers). Enfin victorieux, après un long périple, il fera un retour aux sources, son retour en Argentine, son mythe gravé à jamais dans la mémoire collective.
Maradona, le double monstrueux
Un célèbre intellectuel napolitain, Luciano De Crescenzo, disait que Maradona incarnait à la fois le meilleur de Dyonisius (l’émotion) et le pire de Apollon (la raison). L’ambivalence du personnage Maradona, ses côtés lumineux et sombres expriment ce que René Girard a défini comme le double monstrueux. Le double monstrueux appartient à tout individu qui vit au-dessus et au-delà de toute société humaine. Il s’agit d’individus qui, par leurs talents, émergent de l’ordinaire et entrent dans une dimension quasi sacrée. Ils deviennent à la fois objet de dévotion, comme des rois, et de haine, comme des victimes sacrificielles. Ainsi, l’amour et la haine que le personnage Maradona suscite s’inscrivent dans ce rapport entre profane et sacré, entre ordinaire et extraordinaire. Maradona, comme Jésus Christ, est un roi (« King ») mais aussi le bouc émissaire de tous les vices et les péchés humains (« D10S », mot-valise formé par la fusion du numéro de Maradona en équipe d’Argentine (10) et « Dios », « Dieu » en espagnol). Il est à la fois humain et divin.
Maradona alias D10S
Tout au long de sa vie, Maradona s’est battu. Il s’est battu contre la pauvreté de Villa Fiorito. Il s’est battu contre l’hostilité espagnole et la direction du Barça avec qui il n’entretenait pas de bonnes relations. Il s’est battu contre les puissantes équipes de l’Italie du Nord. Il s’est battu contre les institutions sportives italiennes et mondiales.
Il s’est battu contre son addiction à la drogue. Il s’est battu avec la force de son talent qui s’exprimait par sa « mano de D10S » et par son pied gauche. Et à l’heure où le Président de la République française semble trancher sur l’ancienne question de qui est le meilleur entre Maradona et Pelé, désormais à Naples comme en Argentine et ailleurs dans le monde, Maradona est devenu une icône religieuse bien au-delà du domaine sportif. Comme l’a dit un supporteur napolitain : « Maintenant, la question n’est plus de savoir si Maradona est meilleur que Pelé, mais plutôt de savoir si Maradona est meilleur que San Gennaro le [Saint Patron de Naples] ».
Maradona est mort, vive D10S !
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