Les entreprises innovantes ne peuvent pas se passer du marketing

Marketing & nouvelle consommation

publication du 30/05/2024

Stéphanie Petzold et Katia Richomme-Huet, professeures à KEDGE signent un article qui souligne l'importance du marketing dans les entreprises innovantes.

Alors que l’innovation est souvent considérée comme une sorte de totem d’immunité pour traverser les soubresauts économiques, de nombreuses jeunes entreprises technologiquement innovantes (JETI) finissent en liquidation. La raison ? Ils n’ont pas eu suffisamment de temps pour passer le point mort. Si la réussite d’une JETI s’apparente à une course de fond, elle doit, pour réussir durablement, concrétiser au plus tôt des ventes.

Réaliser au plus vite l’adéquation du couple produit marché favorise la survie à long terme (une décennie) et à très long terme (deux décennies). Pour cela, les ressources proposées par le marketing sont précieuses. Malheureusement, elles sont trop souvent insuffisamment exploitées par les dirigeants des JETI, comme nous l’avons montré dans une recherche récente.

Au préalable, précisons ce que nous entendons par « jeune entreprise innovante ». Cette expression renvoie à un dispositif légal, le statut juridique et dispositif fiscal de jeune entreprise innovante (JEI). Élaboré en France en 2004 pour favoriser la création et le développement de PME centrées sur la recherche et développement (R&D), elles peuvent porter différents noms accessibles sur critères restrictifs (re) définis selon la loi de finances en vigueur.

En entrepreneuriat, d’autres termes sont utilisés pour définir ces structures particulières, allant au-delà de l’aspect fiscal. Tandis que les JEI statutaires représentent plus de 4 000 unités, les JETI peuvent englober d’autres organisations.

Il s’agit donc d’une jeune (J) (âgée de moins de 11 ans, créée ex nihilo et à fort potentiel de croissance) entreprise (E) (indépendante, de taille réduite – TPE/PME, financée par des capitaux externes et des investisseurs spécialisés) technologique (T) (niveau conséquent de R&D, liens étroits avec les milieux scientifiques) et innovante (I) radicalement ou incrémentalement (degré élevé de risque, marché global mais instable et émergent, créatrice de valeur importante, soutenue et renouvelée fréquemment en termes de produits, services et/ou procédés).

Surestimation des forces

Parmi les difficultés des JETI, l’une des plus importantes est la non-mobilisation ou l’ignorance des techniques marketing adaptées à ce type de structure. S’il semble cohérent d’éviter de réaliser une étude coûteuse sur un marché en devenir, les créateurs de JETI surestiment généralement leur connaissance de ce futur marché. Ils s’appuient sur leur maîtrise de la technologie pour apprécier l’offre potentielle. Leurs stratégies de commercialisation se heurtent alors à cet excès de confiance dans les développements technologiques, qu’ils perçoivent comme capables de s’imposer seuls auprès des clients.

En effet, une cible restreinte reste complexe à analyser pour s’assurer une pénétration du marché. Outre les difficultés liées à son identification, il faut pouvoir détecter ceux à conquérir, ces premiers clients à qui livrer des produits acceptables en termes de fonctionnalités et de coût. L’adéquation de l’offre des JETI au marché requiert une exploration de l’industrie pour mieux en comprendre les besoins latents. Contacter des clients-pilotes pour les convaincre de collaborer est une étape essentielle, afin d’ajuster l’offre au marché cible potentiel.

Le ou les fondateurs, souvent des scientifiques, ingénieurs ou techniciens, assument cette mission de marketing. Leur point de départ repose sur leurs contacts personnels, les premiers clients avec lesquels ils collaborent. Ensemble et à partir de leurs connaissances, ils réfléchissent à de nouveaux produits ou à des distinctions technologiques. Néanmoins, ces dirigeants manquent de repère car ils sont confrontés, outre à de l’incertitude, à la difficulté de prévoir les besoins et les préférences des clients et à l’incertitude technologique.

Une structure entrepreneuriale (en recherche de performance)

Dans ces organisations très centrées sur – et contrôlées par – le ou les dirigeants, le marketing est peu sophistiqué et rudimentaire, vu comme une activité de gestion parmi d’autres. Pourtant, les études montrent qu’il peut y être très avancé, interactif et efficace, générant une connaissance supérieure d’un triptyque clients/marchés/technologies capable de créer un avantage concurrentiel. Cette différence de vision est cruciale pour le succès des JETI.

En effet, opter pour un marketing entrepreneurial permet de mobiliser les ressources contraintes du moment, dans une dynamique de croissance forte, avec des environnements très compétitifs. Il se définit comme la combinaison ou la mise en œuvre simultanée de l’orientation marché –(OM) soit l’application des principes marketing – et de l’orientation entrepreneuriale – (OE) soit l’exploitation des opportunités de marché. Ces effets combinés des deux orientations ont un impact positif sur la performance des entreprises, notamment sur le développement de nouveaux produits.

L’observation en profondeur des mécanismes du marketing entrepreneurial nous a permis de comprendre que les conditions environnementales particulièrement turbulentes, avec des incertitudes sur le marché et la technologie, impactent les JETI, entraînant parfois en interne des déséquilibres néfastes à leur survie.

Gare aux déséquilibres

Un déséquilibre majeur peut naître au sein des JETI à cause d’une alternance trop marquée de périodes de très fortes OE et OM. Ainsi, une focalisation trop importante sur les besoins d’un seul client (OM), peut conduire à minimiser la taille du marché et des ventes potentielles en s’enfermant dans un secteur ou dans un type d’application industrielle. De même, une concentration conséquente sur l’OE amène à un risque de création de produits innovants inutilisables, invendables ou inapplicables, voire à une dispersion des ressources pour saisir toutes les opportunités.

Or, pour réussir, les JETI doivent plutôt équilibrer leur marketing entrepreneurial, en mettant en place une stratégie combinant simultanément l’OE et de l’OM. De fait, ces dernières se subdivisant en sous-dimensions, il s’agit de trouver un équilibre entre d’une part, la création de valeur pour le marché grâce à la cocréation avec les clients et d’autre part, la recherche et l’exploitation d’opportunités avec une prise de risque mesurée et une allocation des ressources optimale. Dans ce contexte, la stratégie de marketing entrepreneurial à court, moyen et long terme prend tout son sens.

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