La dimension culturelle, l’oubliée du Black Friday en France

Marketing & nouvelle consommation

publication du 26/11/2018

Black Friday, Cyber Monday et French Days sont des rendez-vous apparus récemment dans le calendrier des consommateurs français. Empruntés aux États-Unis (exception faite pour les French Days en avril-mai, d’origine française), le Black Friday et le Cyber Monday ouvrent la saison des achats de Noël. Mais comment ces rituels de consommation se sont-ils imposés en France ?

Le Black Friday en chiffres

Le Black Friday connaît un succès grandissant, année après année. Pour l’édition 2018, les prévisions indiquent une hausse des dépenses de 6 % en magasin et de 14 % sur les ventes en ligne par rapport au 2017, pour un total de près de 5 milliards d’euros. L’an dernier, les Français ont dépensé en moyenne 118€, en particulier pour des articles de mode et de l’électronique.

Cet engouement dans l’Hexagone s’explique, en partie, par l’investissement en communication autour du Black Friday des géants américains de la distribution, Amazon en premier lieu, mais aussi français : CDiscount, Leclerc, Auchan, Boulanger, But, Carrefour, Fnac, Darty, etc. Ces derniers ont su surfer sur cette opportunité pour raviver une période creuse de l’année en termes de shopping.

Aux États-Unis, un rituel commercial et social

Bien évidemment, l’aspect « prix cassé » fait partie de la raison d’être du Black Friday mais il ne constitue que la partie la plus visible de ce rituel. En effet, dans son pays d’origine, les États-Unis, le Black Friday est lié à un autre rituel propre à la culture américaine : Thanksgiving. C’est pour cela, d’ailleurs, que le Black Friday a lieu le vendredi car il suit le dernier jeudi du mois de novembre, jour de Thanksgiving.

La dimension commerciale s’entremêle donc avec un rituel social. En l’occurrence, Thanksgiving permet aux Américains de se réunir en famille à l’occasion d’une fête laïque célébrée par tout un pays. Ce jour-là, lors d’un repas abondant à base de dinde farcie, purée de pomme de terre, sauce à la canneberge et pumpkin pie, les membres de la famille décident du plan d’action pour le jour suivant, le Black Friday. On recherche les meilleures offres sur Internet, on décide quels magasins visiter avant se rendre sur place, le lendemain, pour faire la queue en attendant l’ouverture des portes. Le Black Friday prolonge donc Thanksgiving et prend une dimension de tradition familiale.

La dimension culturelle négligée en France

En France, pour l’instant, c’est davantage l’aspect marchand qui prédomine. Les enseignes cherchent surtout à attirer les consommateurs avec des promos. Elles jouent sur la dimension psychologique avec une communication, notamment digitale, qui contribue à la folie des consommateurs dans les magasins.

La dimension sociale et culturelle du phénomène, pour le moment négligée, pourrait pourtant ancrer significativement le Black Friday dans la culture des Français. Depuis près de trois décennies, la recherche a en effet bien établi le lien entre objets marchands, rituels de consommation, et identité des consommateurs. Les biens de consommation deviennent des supports pour établir, maintenir et renforcer le lien entre individus différents mais faisant partie du même groupe social. Le don, sous forme de cadeaux, est notamment un moyen privilégié des consommateurs pour répondre à ce besoin de créer des rapports de dépendance et des liens forts et stables entre eux.

Les raisons de cette transposition du social dans le commercial (et vice-versa) sont à rechercher dans le besoin des sociétés actuelles de reconstituer un sens d’appartenance collective. Ainsi, les évènements commerciaux deviennent des rituels presque religieux, au sens où l’entend le sociologue français Émile Durkheim. Autrement dit, le Black Friday pourrait devenir un moment où les membres d’un groupe social se retrouvent pour renouveler leur adhésion à ce même groupe (religion vient du latin religare, ressembler).

Ce besoin de réaffirmer périodiquement l’appartenance à un groupe social, que ce soit la famille, un cercle d’amis, ou la société à part entière, et d’autant plus pressant que les liens sociaux tendent aujourd’hui à se desserrer, laissant les individus dans une condition d’instabilité et d’incertitude continuelle par rapport à leur relation aux autres et à leurs propres trajectoires de vie.

L’exemple de Noël au Japon

Il y a donc des opportunités jusqu’à présent inexploitées pour les marketers des enseignes françaises. Les exemples à l’étranger qui peuvent les inspirer ne manquent pas. Au Japon notamment, malgré une population chrétienne minoritaire (environ 1 % des habitants de l’archipel), la fête de Noël s’est imposée depuis les années 1970 grâce aux efforts de plusieurs entreprises telles que Coca-Cola, Visa, Universal Studios-Japan, Disney, McDonald’s, etc. KFC a en particulier tiré énormément de bénéfices en positionnant le poulet comme plat typique pour célébrer cette fête.

Même si la clé commerciale a joué un rôle majeur pour introduire ce rendez-vous dans la culture japonaise, Noël est aujourd’hui devenu un rituel social à l’occasion duquel les Japonais se retrouvent, en couple ou entre amis, pour s’échanger des cadeaux. Certes, la France n’est pas le Japon et le Black Friday (ou Thanksgiving) n’est pas Noël. Mais tout comme les Japonais, les Français ont besoin de moments pour se retrouver et de rituels à célébrer.

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