La dette doit entrer en campagne

Finance

publication du 15/04/2022

Fin février 2022, l'Insee a annoncé une légère diminution de la dette publique française à 113% du PIB. Soit environ 40.000 euros par personne. Pour autant, à l'horizon de dix ans, elle devrait atteindre 140 % du PIB, quelle que soit la conjoncture économique.

Il y a longtemps qu'aucun pays européen ne respecte plus un ratio dette publique/PIB inférieur à 60 %. La moyenne de la zone euro est de 98 %. Nous nous installons dans un univers à trois chiffres, sans doute pour très longtemps. En effet, les enjeux politiques qui nous attendent (sortie de la crise du Covid, transition énergétique, guerre en Ukraine, digestion des dettes publiques et privées) vont se conjuguer aux indicateurs financiers pour entretenir l'ombre portée de la dette sur plusieurs décennies.

Même si les critères d'endettement définis en 1992 (traité de Maastricht) sont remis en cause, il ne suffit pas de déplacer le curseur pour effacer cette préoccupation. En effet, nous prendrions le risque d'inquiéter les créanciers, voire de nous exposer à une probabilité de défaillance, réelle ou supposée. La trajectoire de la dette publique pour les dix prochaines années ne laisse pas beaucoup de doute.

Quels que soient les scénarios, le poids de la dette va augmenter. Le simple maintien au niveau actuel
semble un scénario hypothétique. Quant à réduire l'endettement, c'est plus qu'utopique. Quels facteurs alourdissent la trajectoire de la dette publique française ? Le solde budgétaire primaire est structurellement négatif depuis des décennies.

Les dépenses publiques françaises semblent incompressibles. Mis à part l'effet de rattrapage que nous connaissons actuellement, les prévisions de croissance à moyen terme oscillent entre 1,4 % et 2 % par an. Insuffisant pour réduire la dette, tout juste assez pour la contenir. Une accélération de l'inflation avantage les emprunteurs en diminuant la charge réelle du service de la dette. L'inflation augmente la valeur nominale des taxes et des impôts... mais aussi, des dépenses.

En outre, l'Etat émet des titres de dette indexés sur l'inflation, ce qui en augmente le coût. Enfin, l'inflation peut alimenter à la hausse des taux d'intérêt. La hausse des taux a longtemps été retardée. L'endettement colossal de ces dernières années est apparu gratuit. La charge annuelle de la dette diminuait alors même que la dette augmentait !

Mais nous arrivons au pied du « U » Les banques centrales annoncent des hausses dès cette année. Le Trésor a chiffré ce surcoût annuel sur la dette publique de +2.5 milliards en 2022 à +29,5 milliards en 2031. Avec la construction de tableaux de flux financiers pluriannuels, on peut modéliser le besoin de financement annuel du Trésor.

Pour chaque année, la prévision de l'endettement de l'Etat tient compte des soldes budgétaires, des emprunts existants à rembourser, des nouveaux emprunts à émettre, des charges d'intérêt afférentes.

Voici quelques enseignements de cette simulation :

  • Sous hypothèse d'une conjoncture « moyenne », la dette publique progressera irrésistiblement pour dépasser140 % du PIB en 2032;
  • Pour maintenir la dette à 115 % du PIB, une croissance annuelle de plus de 4 % serait nécessaire;
  • Avec une croissance de 2 %, pour contenir la dette à son niveau actuel, il faudrait ramener le déficit budgétaire à 1 % dès 2024;
  • Réduire le ratio de la dette/PIB à 60 % reste définitivement hors de portée.

Cette saturation d'endettement jette un sérieux doute sur la capacité de l'Etat à engager des programmes ambitieux après la présidentielle.

Aucun des grands candidats du premier tour ne se risquait plus à proposer une simple annulation de la dette, ni même l'annulation « technique » d'une partie de cette dette.

Quelles propositions alors pour la contenir, voire la réduire ? Aménager les caractéristiques des titres de la dette publique ? Sanctuariser les projets d'endettement jugés essentiels ? Et pourtant la dette n'est toujours pas entrée en campagne...

Retrouvez cet article dans Les Echos du 15/04/2022