Finance : ce que la chute du fonds Archegos peut changer

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publication du 20/04/2021

Vendredi 26 mars 2021, le cours de ViacomCBS, un conglomérat de médias américain, plongeait de 27 %, en même temps que ceux des groupes chinois Tencent Music ou Baidu (le principal moteur de recherche sur Internet chinois).

La cause de ces brutales corrections est rapidement identifiée : des ventes massives d’actions d’un montant total d’environ 20 milliards de dollars par Goldman Sachs (10 milliards), Morgan Stanley (8 milliards) et Deutsche Bank (4 milliards).

Ces ventes, inhabituelles par leur ampleur, ont fait craindre des pertes importantes pour les banques d’investissement, ce qui a déclenché une brève correction des valeurs bancaires dans le monde, sans lendemain sauf pour le Crédit suisse et le japonais Nomura dont les cours ont perdu environ 20 % ces 15 derniers jours.

Un Fonds privé victime de son hubris

Lundi 29 mars, on apprenait qu’il s’agissait de la vente des actions détenues par des prime brokers, ces départements spécialisés des banques d’affaires qui offrent une large gamme de services aux fonds spéculatifs.

Les actions en question, des « collatéraux », constituaient la garantie des positions hautement spéculatives d’Archegos Capital Management (un terme à connotation messianique qui signifie le chef, le prince en grec ancien).

Ce Family office, détenant la fortune de Bill Hwang un ancien gérant de hedge funds, était devenu le plus gros actionnaire institutionnel de Viacom début 2021. Les prime brokers garantissaient au fonds une performance de 5 fois à 10 la hausse de l’action sous-jacente.

Archegos, géré à sa totale discrétion puisque sans client extérieur, a vu son encours passer de 2 milliards de dollars à sa création en 2013 à environ 10 milliards fin 2020 et même 20 milliards en mars 2021 par la magie d’achats à fort effet de levier (endettement pour augmenter la capacité d’investissement) sur des actions technologiques très volatiles.

Le 25 mars, l’ensemble de ses positions spéculatives était évalué à 50 milliards, dont 18 milliards chez Morgan Stanley, 10 milliards chez Goldman Sachs et 10 milliards chez Crédit suisse.

Gérer les pertes de manière concertée

La brutale correction du cours de Viacom, qui a perdu 33 % entre le 22 et le 25 mars, exposait Archegos alors au défaut de paiement.

Bill Hwang, réalisant que ses pertes potentielles dépassaient ses actifs, s’est alors décidé, s’inspirant de la sauvegarde du fonds LTCM en septembre 1998, à organiser en urgence, le jeudi 25 mars, une réunion téléphonique avec ses principaux prime brokers (Goldman Sachs, Morgan Stanley et Wells Fargo, UBS et Crédit suisse, MitsubishiUFJ et Nomura) pour tenter une liquidation ordonnée de ses positions et éviter ainsi des ventes massives qui auraient déprimé encore plus les cours et accru ses pertes.

Mais dans l’affaire LTCM, la concertation avait été initiée et supervisée par le régulateur des banques de Wall Street, la Federal Reserve de New York, qui avait su inciter les banques créancières à recapitaliser le fonds pour assurer, avec succès d’ailleurs, le dénouement des positions.

Rien de tel dans les échanges informels du 25 mars qui ont été conclus, selon les médias, par un vague gentlemen agreement entre les contreparties du fonds à gérer en commun la liquidation des positions. Une enquête est d’ailleurs en cours sur ce point à la demande de la Securities and Exchange Commission (SEC) et de la Financial Conduct Authority londonienne.

L’accord a de fait très vite volé en éclat lorsque les banques new-yorkaises ont décidé de vendre leurs positions dès le 25 mars au soir dans des opérations de gré à gré avec des hedge funds (pour Morgan Stanley) puis sur le marché boursier le vendredi 26 mars.

La Deustche Bank, qui avait détecté des mouvements importants sur les titres, a également soldé son exposition le 26 mars prenant de court Crédit suisse et Nomura contraintes de vendre au plus bas le lundi 29 mars.

Au terme de ces cessions, il semble qu’Archegos, qui a perdu la totalité de son capital, laisse une ardoise totale de quelque 10 milliards de dollars principalement chez Crédit suisse (4,7) et Nomura (2 milliards).

Des contrôles internes à renforcer

Comme dans l’affaire LTCM, les banques d’affaires, à l’exception notable de JPMorgan Chase qui avait refusé de traiter avec Hwang, n’ont pas scruté avec suffisamment d’attention le CV d’un gérant qui avait dû plaider coupable devant la SEC en 2012, écopant au passage d’une amende de 44 millions dollars et de 5 ans d’interdiction de trading.

Pire, conscient de son passé, mais alléché par les perspectives de plantureuses commissions, Goldman Sachs est finalement passé outre ses réticences initiales.

Une fois la relation d’affaires établie, le financement des clients institutionnels fait systématiquement l’objet d’un dépôt de garantie (le collatéral) chez le prime broker et d’appels de marge quotidiens (versement supplémentaire pour couvrir une dépréciation).

En effet, les procédures internes des banques exigent qu’au premier signal d’alerte, en cas de défaut sur les appels de marge, les positions trop risquées soient soldées.

Ici le mot d’ordre est la réactivité : c’est cette variable clé qui a manqué à Nomura et surtout au Crédit suisse, dont l’affaire Archegos a mis en lumière les défaillances du management des risques.

Extension du domaine de la régulation

Quelles conséquences de l’affaire peut-on anticiper ? Notons d’abord que la chute d’Archegos n’a manifestement pas eu d’impact ni sur la stabilité des marchés financiers ni sur la solvabilité du système bancaire, les moins-values étant absorbées sans difficulté par les banques perdantes.

Elle ne devrait pas remettre en cause non plus le business lucratif des départements de prime brokerage des banques d’investissement qui représente quelque 15 milliards de dollars de revenus par an (dont 4 milliards en Europe).

En revanche, les déboires d’Archegos devraient renforcer la vigilance des clients institutionnels des banques d’investissement et probablement accentuer encore la concentration d’un métier qui restera l’apanage d’une poignée d’acteurs très réactifs et dotés d’une culture sophistiquée des marchés financiers (maîtrisant leur liquidité, leur volatilité, etc.) pour évaluer les positions spéculatives de leurs clients (même si elles ne peuvent pas avoir une vision globale de l’ensemble de leurs positions, les fonds spéculatifs travaillant en général avec plusieurs prime brokers).

Elle devrait également inciter les prime brokers à limiter l’effet de levier accordé à leurs clients.

Les régulateurs semblent en revanche d’ores et déjà tentés de durcir la régulation, en particulier sur la transparence des positions susceptibles de déclencher un risque systématique.

Les pouvoirs publics devraient notamment demander au Congrès d’amender le Dodd-Franck Act de 2010 qui permet aux fonds spéculatifs d’échapper à la réglementation de la SEC.

La secrétaire au Trésor Janet Yellen a d’ailleurs souligné que l’endettement de certains fonds pouvait amplifier les turbulences des marchés lors de sa première réunion du Financial Stability Oversight Council.

En outre, le président du comité bancaire du Sénat a, dès le 5 avril, sommé les banques impliquées dans l’affaire Archegos de justifier leurs relations sous 15 jours.

La lutte contre les conflits d’intérêts des prime brokers devrait également être renforcée après la découverte que Morgan Stanley avait participé activement à la levée de 3 milliards dollars d’actions nouvelles pour Viacom, ce qui a contribué à diluer les anciens actionnaires à l’origine de la baisse des cours à compter du 22 mars 2021.

Reste la question fondamentale pour la stabilité financière : les régulateurs parviendront-ils un jour à être correctement informés des positions du « shadow banking », dont les fonds fermés au public et donc non régulés constituent un élément clé ?

Lire l'article sur The Conversation

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