Fans ! Enjeux marketing d’un phénomène devenu incontournable

Marketing & nouvelle consommation

publication du 14/11/2018

« Être fan » est aujourd’hui une expression utilisée couramment pour indiquer l’attachement que l’on a pour un sport, une star de la musique, une série télé, une marque de voiture, ou encore une marque ou un produit high-tech. On peut aussi être fan d'activités du quotidien comme, par exemple, du digital, du recyclage, du healthy food (Trad. : nourriture saine), etc. Bref, il y a des fans pour tout et les fans sont partout…

Mais qu’est-ce qu’un fan au fond ? Les fans sont généralement définis comme étant des consommateurs profondément attachés aux objets et aux activités de consommation avec lesquels ils construisent une relation émotionnelle. Ils montrent en parallèle une motivation toute particulière à tisser des liens avec d’autres fans partageant les mêmes intérêts. C’est grâce à cet attachement et à ces relations sociales qu’ils construisent leur identité et trouvent leur place en société.

Les trois temps du phénomène fan

Les fans ont pris une importance inédite ces dernières années. À l’origine, dans les années 1980, le phénomène était plutôt marginal. Les communautés de fans (ou fandoms) vivaient en marge de la société, voire en résistant à celle-ci. C’est à partir de années 1990 et surtout 2000 qu'ils ont gagné du terrain dans l’espace social et culturel.

Plus précisément, on peut identifier trois moments dans l’évolution du phénomène fan vis-à-vis de la société et de sa culture dominante : résistance, participation et activisme.

  1. Résistance : les sous-cultures de fans émergent comme étant des cultures marginales qui résistent à la culture dominante. Par exemple, dans les années 1980, les fans de Madonna – surtout les adolescentes – voyaient dans la chanteuse et dans ses textes un moyen d’acquérir une prise de conscience de soi, d'établir une solidarité intra-générationnelle et résister ainsi aux contraintes sociales liées à leur statut.
  2. Participation : les fans groupés en collectifs - dits communautés, tribus ou, plus en général, fandoms - cohabitent avec la société, plutôt que de lui résister. Au sein de ces collectifs, les fans participent à la création de valeurs alternatives à celle de la culture dominante en détournant le sens des objets et des marques produits par le système capitaliste. Le géant américain du numérique Apple doit par exemple une grosse partie de son succès (et de sa survie dans les années sombres) au sens quasi religieux que les fans ont associé à ses produits et au mythe qu’ils ont construit autour de la marque et de son fondateur Steve Jobs.
  3. Activisme : les fans utilisent les valeurs et la culture développées au sein des fandoms pour challenger et changer la culture dominante. Dans ce contexte, la marque devient un dispositif quasi politique qui règle le rapport à la société. Les exemples sont nombreux : la Harry Potter Alliance, groupement de fans du célèbre apprenti sorcier et de son univers imaginé par JK Rowling, poursuit des actions humanitaires et politiques ; en Italie, les fans du comédien Beppe Grillo ont organisé un mouvement politique inspiré par ce dernier, et ils dirigent aujourd’hui le pays ; citons enfin Nike, qui a choisi la joueur de football américain Colin Kaepernick pour sa campagne Dream Crazy. L'équipementier américain, toujours à la pointe en marketing, va là exactement dans le sens de l’activisme des fans, puisque Kaepernick est aussi - si ce n'est plus - réputé pour ses prises de positions politiques que pour ses performances sportives. Nike fait ainsi passer le message suivant : le sport, et donc la marque Nike, n'est plus qu'un moyen de tester ses limites, mais aussi de faire progresser le monde face à toutes sortes d’inégalités, de préjugés et d'injustices.

« Dream crazy », la dernière campagne publicitaire de Nike qui met en scène le joueur militant Colin Kaepernick.

Idéologie consumériste et fanatisme

Le mot « fan » dérive de « fanatisme ». Le fanatisme est un processus historique et culturel qui génère de nouvelles valeurs et de nouvelles logiques de fonctionnement, puis les injecte dans la société en modelant sa culture et déterminant le changement social. Traditionnellement, le fanatisme se nourrit d’idéologies religieuses ou politiques. Aujourd’hui, il se nourrit aussi de l’idéologie consumériste.

Si, par le passé, le croisement entre fanatisme, religion et politique a donné lieu à des épisodes tragiques et à des changements radicaux (par exemple, les guerres entre catholiques et protestants, ou encore la Révolution et la Terreur en France), le fanatisme lié à la consommation et, en particulier, aux marques semble être moins traumatisant. Néanmoins, les changements apportés par ce fanatisme de marque ont un impact majeur sur la culture à part entière de nos sociétés. Il suffit de réfléchir à comment la logique du partage propre à la culture fan a remplacé celle, traditionnelle, de la possession. On retrouve aujourd'hui cette logique à la base de nombreux business, en particulier dans le digital.

C’est au travers la tension continuelle entre fanatisme et société que les marques s’intègrent de plus en plus dans l’ensemble des dynamiques et des interactions sociales qui forgent les expériences de vie des consommateurs et, par conséquent, leurs identités. Ce qui semble en effet véritablement générer l’attachement des fans à la marque est la tension sous-jacente à ces temps du phénomène fan qui oppose les individus à la société qui les entoure. Tension qui émerge en surface, d’abord sous forme de résistance, puis de participation et, enfin, d’activisme.

Aujourd'hui, le véritable enjeu pour les marketers est de comprendre ce qui oppose le consommateur à son contexte social et le rôle que la marque joue (ou peut jouer) dans cette tension. Pour ce faire, les marketers doivent aller vers les fans en cherchant des enseignements dans leur vécu personnel et leurs propres expériences de consommation. L’amour pour le sport, l’art ou les jeux vidéo, la dévotion pour une célébrité, la passion pour le cinéma, la musique ou la moto ne peuvent être compris pleinement que si l’on creuse dans la vie du consommateur à la recherche des conditions socio-culturelles qui l’ont poussé vers ces activités de consommation et du sens qu’il leur attribue. Et pour cela, au passage, le big data, ne nous est pas d’une très grande aide…

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