Acheter des vêtements de seconde main, choisir le local, refuser les produits sur-emballés : telles sont quelques illustrations des nouveaux modes de consommation.
En effet, les consommateurs, ainsi que les acteurs publics et privés, se trouvent confrontés à la raréfaction des ressources fondamentales comme l’eau, l’énergie, et à la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre le réchauffement climatique. D’où la nécessité de mettre en œuvre des actions de « déconsommation » face à la consommation de masse.
L’objectif de cette tribune est de montrer que le phénomène social « consommer moins pour consommer mieux » résulte de l’adhésion à des valeurs environnementales d’une partie de la population, mais également de la difficulté de certaines classes sociales à accéder à la consommation classique.
Déconsommation vs consommation de masse : une transformation des modes de consommation
Les sociétés de panels observent pour les produits de grande consommation une baisse en volume des achats, mais une hausse en valeur.
Selon Emily Mayer, directrice des affaires stratégiques chez IRI, « les Français sont en train de changer, ils veulent consommer moins, mais mieux ». Kantar WorldPanel met l’accent sur une valorisation des marchés : « pour consommer mieux, les consommateurs sont prêts à mettre le prix dans des produits de qualité et plus sains. »
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces phénomènes de « déconsommation ».
Tout d’abord, une consommation plus responsable, en ligne avec les préoccupations éthiques des Français. Ceux-ci achètent par exemple de plus en plus de produits en vrac.
Ensuite, une multiplication par deux de la consommation de produits bios en 5 ans. En 2020, plus de 9 Français sur 10 déclarent avoir consommé des produits biologiques.
Une modification des habitudes d’achat : les consommateurs fréquentent plus les magasins de proximité et les circuits courts, au dépend des grandes surfaces, mettant ainsi en cause le modèle de l’hypermarché.
Une consommation plus collaborative : il s’agit de louer un bien ou un service plutôt que d’en être propriétaire, comme le montre le succès des locations entre particuliers (Airbnb) ou du co-voiturage (Blablacar).
Il apparaît ainsi que la « déconsommation » soit le premier phénomène d’avant-garde pour sortir de la consommation de masse. Toutefois, selon Véronique Varnin, directrice de la société d’études ObSoco, le terme « déconsommation » n’est pas adéquat, car « il existe toujours une forte volonté de consommer ».
« Le modèle de consommation de masse est remis en cause, mais pas la consommation en elle-même. Il y a un désir de s’éloigner d’une consommation fondée sur l’accumulation et une aspiration à consommer autrement ».
Il ne s’agit donc pas d’anticonsommation, mais d’une nouvelle consommation alternative visant à la sobriété et la lutte contre le gaspillage, en vue d’un développement durable.
Déconsommation : une analyse critique
Toutefois, trois facteurs sociologiques et économiques pourraient également expliquer la « déconsommation »
Le recul du pouvoir d’achat pour les catégories les plus modestes de la population implique une baisse de la consommation en volume.
Ce phénomène est renforcé selon le sociologue Louis Chauvel (2006, 2016) par le déclassement d’une partie des classes moyennes, qui est une des conséquences de la mondialisation.
La crise des gilets jaunes en France constitue un des signes de ce déclassement. Ceux-ci réclament en revanche le droit à la consommation des produits essentiels.
La déconsommation a un prix symbolique et pourrait concerner uniquement les classes moyennes et aisées.
Elle suppose de « consommer moins (supprimer le superflu), mais de consommer mieux (produits bios ou locaux) ». En conséquence, les prix des produits sont plus chers que ceux de la production industrielle à grande échelle.
Les familles françaises sont moins nombreuses : elles achètent donc moins en volume. En outre, la population française est vieillissante, et un foyer de personnes âgées consomme moins qu’un foyer avec deux enfants.
Une déconsommation sociologique
Au final, la « déconsommation » pourrait procéder à la fois de l’adhésion des consommateurs à des valeurs éthiques et environnementales, mais aussi, de manière concomitante, de facteurs sociologiques structurels, comme la réduction du pouvoir d’achat de certaines classes sociales et le facteur « prix ».
Ce dernier facteur nous apparaît essentiel dans l’explication de la « déconsommation », alors qu’il est souvent négligé et qualifié de manière incomplète de « pouvoir d’achat arbitral ». Il conviendrait alors de parler de « déconsommation sociologique ».
L’analyse de la double logique de cette « déconsommation sociologique » pourrait constituer une grille d’analyse de la consommation dans les années 2020.