Le Salon est l’occasion de prendre le pouls du monde agricole, qui affiche un bulletin de santé contrasté. Car si la France est la première agriculture de l’Union européenne, de nombreux indicateurs inquiètent. Près de la moitié des paysans hexagonaux gagnent, par exemple, moins de 350 euros par mois d’après la MSA et 2016 aura été une année noire avec plus de 730 suicides d’agriculteurs, révélant un malaise profond de la profession.
Le poids de l’agriculture dans l’économie française est de moins en moins important (3,7 % du PIB contre 6 % en 1980), mais ce secteur conserve une importance économique majeure, faisant vivre de nombreux territoires ruraux et conservant une forte valeur symbolique. La France compte aujourd’hui 1,4 million de salariés et non-salariés travaillant dans ce secteur.
À l’issue du Salon, que retenir des annonces et promesses des candidats à la présidentielle pour l’agriculture et les agriculteurs français ?
Points d’accord sur les normes, les circuits courts et la PAC
La plupart des candidats s’accordent sur le trop grand nombre de normes dans le secteur. L’agriculture est en effet l’une des activités les plus encadrées et les plus réglementées par des normes à la fois européennes, nationales, voire locales. Ces dernières génèrent un mille-feuille réglementaire qui complique la tâche des agriculteurs, certains paysans devant passer beaucoup de temps à remplir des déclarations ou des dossiers de subventions.
François Fillon propose ainsi de simplifier ce système en faisant de l’agriculteur un entrepreneur à part entière, pour éviter le « carcan des normes ». Marine Le Pen souhaite également une simplification (proposition 128 de son programme) ; quant à Emmanuel Macron, il propose un droit à l’erreur, évitant à l’agriculteur d’être sanctionné par l’administration dès la première erreur. À gauche, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne donnent pas d’indications à ce sujet.
Autre point de convergence : le soutien aux circuits courts, pour faciliter le contact et les échanges directs entre producteurs et consommateurs, mais aussi « contourner » l’ultra-domination de la grande distribution dans les filières agricoles.
Marine Le Pen entend ainsi les soutenir par le biais de la commande publique ; Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron souhaitent l’imposer dans la restauration collective (scolaire notamment). Benoît Hamon l’associe quant à lui à la notion d’autonomie alimentaire.
Dernier point de convergence : le souhait de voir évoluer, plus ou moins drastiquement, la Politique agricole commune (PAC). Marine Le Pen veut la transformer en « Politique agricole française ». Benoît Hamon souhaite la « verdir » en réorientant une partie des sommes (400 millions d’euros) vers l’agro-écologie et l’agriculture bio. Jean-Luc Mélenchon souhaite une refonte ; enfin, François Fillon et Emmanuel Macron, souhaitent plutôt l’infléchir autour de la gestion des risques pour le premier et d’un mécanisme de garantie des prix ou du chiffre d’affaires pour le second.
Leurs solutions au malaise agricole
Si le constat du désarroi profond des agriculteurs est largement partagé par les principaux candidats à la présidentielle, leurs solutions pour y remédier divergent.
Pour Marine Le Pen, il s’agit d’adopter la préférence nationale en soutenant les produits agricoles français par la commande publique. Du côté de François Fillon, on insiste plutôt sur l’amélioration du pouvoir de négociation des agriculteurs en s’appuyant sur différentes propositions touchant les étapes de la filière agricole : renforcement des organisations de producteurs, encadrement des produits d’appel et des négociations avec la grande distribution, renforcement des circuits courts. Ce dernier avance également des propositions visant à renforcer la transparence des prix et des provenances. Le programme de François Fillon vise à jouer par petites touches sur les différents stades des filières agricoles.
Du côté d’Emmanuel Macron, on évoque le renforcement des organisations de producteurs (OP), mais également un programme d’investissement sur 5 ans. Sa proposition la plus innovante, annoncée lors du Salon, aura été de suggérer l’organisation d’un Grenelle de l’alimentation mettant aux prises les différents acteurs des filières agricoles et agro-alimentaires.
Benoît Hamon évoque certes les problématiques de filière, mais présente surtout les propositions les plus « vertes » afin de soutenir les filières agricoles : « verdir » la PAC (400 millions d’euros réservés aux agriculteurs adoptant l’agro-écologie) ; favoriser les reprises et installations bio et agro-écologiques ainsi que les cultures maraîchères aux abords des villes ; établir un plan d’investissement de 5 milliards pour soutenir les circuits courts, l’agro-écologie et l’agriculture bio.
Sur le plan de la santé publique, François Fillon se prononce pour la suppression du principe de précaution en matière agricole et un soutien aux technologies agricoles telles que les OGM ou les manipulations génétiques, tandis que d’autres candidats y semblent nettement opposés comme Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen. Concernant l’agriculture biologique, Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon soutiennent fortement ce secteur alors que Marine Le Pen ne l’évoque même pas.
Tous les candidats font – délibérément ? – l’impasse sur des réformes aussi essentielles que polémiques :
- Réformer en profondeur les filières agricoles pour une meilleure répartition de la valeur. Ainsi, dans la filière lait, sur une brique vendue environ 1 euro en grande surface, seulement 27 centimes revient à l’agriculteur alors que celui-ci supporte l’essentiel des risques et des investissements. La crise laitière de 2016 a montré que ce prix se situait largement en dessous des coûts de production. Il en est ainsi dans la plupart des filières agricoles.
Deux raisons essentielles expliquent ce décrochage. Il y a d’une part l’indexation sur des cours mondiaux, alors que les coûts de production d’autres pays sont inférieurs. On note d’autre part un très fort déséquilibre du rapport de forces entre les différents acteurs des filières agricoles. Les industriels et la grande distribution disposent de pouvoirs de négociation bien supérieurs à ceux des producteurs, même réunis en OP ou en coopérative. Dès lors, ils peuvent « imposer » à leur guise une baisse continue des prix, fragilisant en amont des filières agricoles.
Sur ce point, bien peu de candidats dévoilent leur plan. Tout au plus certains (Fillon, Macron, Melenchon) évoquent le souhait de rééquilibrer les négociations et les rapports de forces entre agriculteurs, industriels et grande distribution.
- Réguler les prix et les cours. Cette question constitue un véritable serpent de mer. La fin de la PAC et la libéralisation des marchés agricoles a exposé les agriculteurs à la volatilité des prix, alors que leurs coûts et leurs marges ne sont pas élastiques. Nombre de paysans se retrouvent en difficulté, n’ayant pas les moyens ni les outils de faire face à cette volatilité. Seuls François Fillon et Emmanuel Macron semblent faire des propositions en ce sens. Le premier évoque la question de l’intégration de la gestion des risques dans la PAC. Le second souhaite instaurer une garantie sur les prix ou le chiffre d’affaires des agriculteurs.
- Réformer les chambres d’agricultures, les SAFER et les CDOA. Une large partie du monde agricole est impactée par ces trois institutions qui régulent des pans entiers de l’activité des agriculteurs. Benoît Hamon est le seul candidat à avoir pointé du doigt ces institutions, très mal connues du grand public, qui possèdent une influence déterminante dans l’activité des paysans et le devenir de leurs exploitations. Une réforme de ces institutions est pourtant nécessaire tant elles sont gangrénées par les luttes de pouvoir, notamment syndicales, et les intérêts partisans.
La financiarisation rampante de l’agriculture
Un dernier point omis des candidats concerne la nécessaire limitation de la spéculation foncière et l’accaparement des terres agricoles. Un drame silencieux est en train de se jouer dans les campagnes françaises : de nombreux investisseurs, français comme étrangers, investissent en rachetant des terres agricoles, non pour les exploiter mais pour seulement investir sur du foncier ou profiter de déductions fiscales. L’irruption de ces nouveaux acteurs pousse mécaniquement la valeur des terres agricoles à la hausse. De plus, les agriculteurs sont peu à peu privés des terres supplémentaires, ce qui les conduit à acheter plus de matières premières et les empêche de bénéficier des subventions conditionnées aux surfaces exploitées.
Il s’agit là d’une financiarisation rampante de l’agriculture. Le modèle, parfois idéalisé, de la petite exploitation familiale est clairement en voie de disparition tandis que se profile la montée en puissance d’entreprises agricoles exploitant les terres comme elles pourraient exploiter d’autres actifs financiers. Il s’agit, d’une manière plus globale, de ne pas laisser se développer une agriculture à plusieurs vitesses, laissant de côté des centaines d’exploitations n’ayant pas eu les moyens ou l’opportunité de réaliser les mutations nécessaires.
Bien évidemment, la liste des questions non abordées par les candidats n’est pas exhaustive, tant les chantiers agricoles sont nombreux et variés. Passé l’emballement « médiatique » du Salon de l’agriculture, il reste cependant aux futurs responsables politiques à s’atteler à construire une véritable politique agricole, respectueuse de la diversité de ses modèles économiques et soucieuse d’inscrire durablement l’agriculture française dans une dynamique à la fois performante et durable. Ce n’est pas le moindre des défis qui attend le (la) futur(e) président(e) de la République.