Virginie Martin : « j’assure en géopolitique grâce aux séries »

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publication du 22/09/2023

VIRGINIE MARTIN, docteure en sciences politique et HDR, est professeure-chercheuse à KEDGE Business School. Elle intervient dans les médias nationaux français et internationaux. Elle est l'autrice de plusieurs essais et publications académiques.

VIRGINIE MARTIN, vous publiez avec Anne-Lise Melquiond, chez Deboeck Supérieur, " j’assure en géopolitique grâce aux séries".  Quelle est l’origine de votre inspiration pour cette approche très originale de la géopolitique ?

Pour ma part, cela fait très longtemps que je m’intéresse à la question du « soft power » qui vient croiser questions culturelles et questions politiques. Le soft power n’est pas pouvoir militaire, ni guerre, il est influence. Il est finalement très gramscien au sens de bataille culturelle.

La géopolitique s’occupe bien entendu de soft power, c’est par ce biais qu’elle nous interpelle ici.
Quant au monde des séries, il est notre objet d’études. Dans mon dernier ouvrage Le charme discret des séries, je traite de questions politiques et géopolitiques. De même, Anne-Lise Melquiond s’intéresse aux séries post-apocalyptiques.

Au final, nous sommes peut-être plus dans une continuité de nos travaux que dans une inspiration ad hoc !

Les séries ont-elles une approche fiable de l’analyse géopolitique ?

Concernant la fiabilité des séries au sujet de l’analyse géopolitique, c’est une question tout à fait cruciale. Doit-on prendre pour argent comptant ce que nous livrent les séries ? Oui et non.
Une série reste une œuvre de fiction et d’influence.
La fiction a le droit de s’accorder des libertés, de s’inspirer. Prenons la série Parlement sur l’Union européenne. Elle est assez caricaturale et croque de façon parfois cruelle le Parlement européen et ses députés. Est-elle fausse pour autant ? Non, c’est un point de vue, un angle choisi permettant de raconter une histoire, de rapporter un propos : l’Union européenne n’est-elle pas (aussi) une bureaucratie étouffante ?

Idem pour Borgen (saison 4) et les enjeux autour de la diplomatie écologique : les données autour du Groenland sont plutôt justes, mais l’important reste le propos et la prise de conscience autour de cet espace géographique convoité de toutes parts.

Nous pourrions aussi évoquer le chef-d’œuvre Years and Years, la mise en scène d’une Angleterre et d’une Europe glissant vers des références extrêmes droitières. Russel T. Davis porte ici un propos qui s’inspire d’une réalité, mais il façonne ces données à sa main.

Les faiseurs de séries vont donc angler leur propos et influencer / tenter d’influencer, d’avoir un impact sur les spectateurs, voire modeler - un tant soit peu - les opinions publiques.

Quelles sont les thématiques récurrentes dans ce genre ?

Certaines thématiques sont aujourd’hui très en vogue : notamment celles autour des enjeux environnementaux.

De L’Effondrement à Borgen en passant par de nombreuses dystopies comme Snowpiercer ou Under the Dome, les mises en scène portent haut ces enjeux. Les séries semblent ici agir comme des lanceuses d’alerte. Ces alertes se déclinent sur un mode politique et diplomatique ou sur un mode bien plus apocalyptique.

Le terrorisme est aussi évidemment très présent dans ces séries-là, mais ici encore avec des mises en scène très diverses : de En Thérapie à Fauda en passant par Homeland… On passe d’un traitement plus intime à un traitement des terrorismes clairement et directement géopolitique.

Peut-on considérer que l’approche artistique, malgré les biais inhérents à la démarche, reste une approche pédagogique intéressante ?

La démarche artistique est particulièrement efficace même ! En effet, les messages et les connaissances passent à travers un mode plus accessible, plus ludique.

Il y a fort à parier que, l’appropriation des contenus ne se faisant pas via une verticalité, mais plus sur un mode horizontal, cette appropriation, cet apprentissage s’opère mieux et de façon plus durable, car plus personnelle.

L’intimité entre spectateur et série est un excellent médiateur de savoirs, même s’il est moins classique qu’une salle de cours.

Cette question en pose d’ailleurs une autre : comment devons-nous parler à nos étudiants en 2023 ?

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