Shanghai, nouvelle vitrine internationale de l’art en Chine

Industries créatives culture

publication du 05/11/2019

« En l’espace de quelques années, Shanghai est devenue la capitale chinoise du design et de l’art contemporain », estime Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo, directeur d’une des plus anciennes institutions artistiques privées en Chine, l’Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) à Pékin, de 2008 à 2012, et commissaire de la prochaine exposition de la Fondation Prada à Shanghai, qui débute le 6 novembre.

« Cette première semaine de novembre 2019, historique, plus grand événement dédié à l’art contemporain dans l’histoire de la Chine, incarne cette nouvelle position », explique-t-il.

L’évènement va réunir les deux principales foires chinoises d’art contemporain Art 21 et Westbund Art and Design Fair, respectivement installées dans le centre de la ville et dans le West Bund, avec plus de 200 galeries du monde entier, une première en Chine, le premier salon de design d’édition limitée, Unique Design Shanghai, et tous les principaux musées de la ville. C’est notamment pour cette raison que le Centre Pompidou Shanghai sera inauguré à cette période, jouant un rôle d’amplificateur et d’accélérateur de ce nouveau rayonnement artistique de la ville.

Le réveil artistique de Shanghai face à Pékin

La rivalité entre Pékin et Shanghai fait long feu. À chaque fois que Shanghai s’est trop développée, Pékin l’a un peu refroidie ou ralentie. Pékin demeure l’incontestable capitale culturelle institutionnelle, mêlant habilement patrimoine culturel national et industries créatives.

On y trouve la Cité interdite qui est autant un musée qu’un monument, le National Museum of China (NAMOC) et la prestigieuse Central Academy of Fine Arts (CAFA) qui abrite en son sein un musée. Surtout, Pékin a eu l’intelligence de dédier dans les années 2000 une friche industrielle à l’art contemporain avec le quartier 798 et d’y attirer des acteurs majeurs du monde de l’art international comme Saatchi Gallery et UCCA. D’autres quartiers abritent l’avant-garde, les créateurs et artistes continuant d’habiter et de créer dans la capitale. Pékin est un peu le New York chinois, la « old-new capital », même s’il y a moins de lieux institutionnels d’expositions.

La création du cluster de West Bund

En face, Shanghai la cosmopolite a plutôt négligé son influence culturelle au profit de son développement économique, financier et commercial. Elle se réveille en 2005 quand le gouvernement municipal de Shanghai adopte une stratégie centrée sur les industries créatives, explicitement inspirée, via Hong Kong, du modèle britannique. Elle cherche à renouer avec son rôle historique d’agent de modernisation en Chine, veut devenir une plate-forme d’innovation culturelle et toucher les marchés étrangers.

La fin de l’exposition universelle en 2010 marque un tournant. Le pavillon chinois accueille le musée d’art moderne de Shanghai, qui déménage de People’s Square à Pudong, en face de West Bund. L’ancien pavillon français 2010 devient le Minsheng Museum et le Pavillon du futur est transformé en Power Station of Art, musée public dédié à l’art contemporain. En 2013, le gouvernement du district de Xihui lance une nouvelle initiative de réaménagement urbain autour du West Bund et planifie la transformation des anciens sites aéroportuaires et industriels abandonnés le long de la rivière Huangpu en de nouveaux espaces culturels et verts. Il s’agit de faire du West Bund le nouveau hub de l’art qui accueillera des musées et des galeries. C’est avant tout un projet immobilier, de génération d’un cluster créatif à partir d’espaces en friche par un promoteur public, filiale du gouvernement de Shanghai.

Inscrit dans le programme de planification de Shanghai à l’horizon 2035, le West Bund axe son développement sur la « culture, l’écologie et l’innovation technologique », en déployant ces industries : « Culture et Média, Technologie et Finance ». Cette inscription de l’art dans un périmètre plus large de la ville indique aussi une maturation de l’écologie culturelle de la ville, inscrivant pleinement le monde artistique dans la ville, alors que les premiers quartiers artistiques comme le M50 les en isolaient.

La gouvernance du West Bund initie aussi un développement urbain plus durable et collaboratif que les pratiques précédentes, impliquant plusieurs parties prenantes, autorités du district, promoteurs, investisseurs, professionnels de l’art, médias. Le West Bund se développe en attirant deux importants collectionneurs privés : en 2014, Liu Liqian et son épouse avec le Long Museum West Bund, une annexe du Long Museum qu’ils ont fondé en 2012, puis le collectionneur et philanthrope sino-indonésien Budi Tek avec le Yuz Museum en 2015, construit sur l’ancien site du hangar à aéronefs de l’ancien aéroport de Long Hua.

C’est dans un double logique d’aménagement du territoire et de prise de conscience des enjeux de l’art en Chine que Shanghai se positionne alors pour rattraper son retard. Les décisions sont drastiques : déplacement de musées publics du centre à la périphérie, implantation de grands musées privés, incitation des galeries du M50 (Moganshan Lu) à aller s’installer dans les préfigurations du WestBund, grandes foires d’art avec la West Bund Art Design née en 2014, attraction de marques culturelles connues à la réputation internationale comme le Centre Pompidou, ouverture du Shanghai Center of Photography (SCOP), puis en mars 2019 de l’étonnant Tank Museum du collectionneur d’art contemporain Qiao Zhibing.

Pompidou Shanghai : une marque culturelle internationale pour la valorisation de la ville

Dans cette logique d’aménagement du West Bund, des stratégies de coopération ont été mises en place d’une part avec West Kowloon Cultural District de Hong Kong et d’autre part avec le Centre Pompidou de Paris dans un projet de coopération culturelle. Les objectifs sont convergents pour les différentes parties prenantes chinoises : donner une dimension globale au West Bund en faisant venir une institution culturelle internationale de marque prestigieuse, valoriser le terrain et la construction à venir de trois immeubles abritant bureaux appartements et centre commerciaux, avec vue sur le musée. Comme le montre la vision de Serge Lasvignes, son président actuel, les objectifs, pour le centre Pompidou, sont de s’implanter en Asie et en Chine, d’enrichir ses collections en découvrant de nouveaux artistes, de toucher un nouveau public, de valoriser son ingénierie culturelle et sa marque, de développer des recettes à l’international.

Le Centre Georges Pompidou rêvait depuis longtemps d’une implantation en Asie puisqu’il projetait dès 2005, de s’installer à Hongkong en partenariat avec la fondation Guggenheim, ce qui n’a finalement pas abouti, pour lui préférer déjà l’ouverture d’une antenne à Shanghai, pour la fin de l’année 2007, sans succès. Cela ne dissuada pas Centre Pompidou d’organiser une première grande exposition de prestige à la Power Station of Art en 2012. Finalement c’est bien à Shanghai en 2019 qu’il implante un établissement, à la suite des antennes de Malaga et de Bruxelles. Le premier contrat est signé pour 5 ans, renouvelables. Toutefois, la Chine – consciente de sa puissance et constatant qu’elle est convoitée par les grandes institutions culturelles occidentales – n’offre pas la manne des États du Moyen-Orient. Dès lors, si le Centre Pompidou sera rémunéré pour ses prestations à Shanghai (2.75 millions d’euros), comme en Espagne et en Belgique, les sommes évoquées pour la redevance de la marque (1,4 million par an) sont très loin de celles pratiquées par la fondation Guggenheim à Bilbao ou le Louvre à Abou Dabi.

D’autres musées internationaux et d’autres clusters

Par sa variété et son dynamisme, l’offre culturelle et artistique de Shanghai est dorénavant prolifique. « L’économie chinoise de l’art contemporain chinois repose sur la ville. Elle en est même la vitrine » analyse Jérome Sans. Ce n’est qu’un début, Lisson, Perrotin et Almine Rech, sont les dernières galeries internationales à avoir récemment choisi de s’y implanter. Le même jour que le Centre Pompidou, Le groupe Japonais TeamLab ouvre un grand espace numérique, le TeamLab Borderless Shanghai, près du Power Station of Art. Le LACMA devient le partenaire du Yuz Museum. Et dans la même stratégie que West Bund, un deuxième cluster est en cours de développement, à Pudong. L’annexe du Shanghai Museum de People Square s’annonce deux fois plus grand que le Louvre pour exposer les œuvres des réserves. Un autre musée public, le Pudong Art Museum, construit par Jean Nouvel, et partenaire de la Tate, déploiera ses 130000 m2 au pied de la Pearl de l’Orient. Par ce développement accéléré d’infrastructures et de projets, Shanghai devient ainsi une « global art city », renforçant sa mythologie historique « East-meets-West », même si elle doit travailler maintenant à développer ses processus créatifs « softs » pour devenir une véritable ville créative, à savoir les impacts sociaux de cette offre, l’émergence d’une « milieu créatif » en favorisant le bottom-up, la stimulation de l’entrepreneuriat créatif.

L’essor des musées français ailleurs en Chine

La diplomatie culturelle française se déploie en Chine, au service de la culture française en particulier et des relations de la France avec la Chine en général.

Trois autres institutions muséales devraient s’y installer de manière durable. Le 13 juin 2019, le Musée national Picasso-Paris, la Fondation Giacometti et le groupe Sevenstar, propriétaire du site 798 à Pékin et gestionnaire du musée The Cube, ont signé un accord d’intention, en présence de l’ambassadeur de France en Chine.

Les deux institutions françaises se voient confier la programmation exclusive de cinq années d’expositions du musée pékinois. L’établissement est actuellement en cours de construction dans la zone culturelle du 798 à Pékin, aujourd’hui le deuxième site culturel le plus fréquenté en Chine. En octobre 2019, le musée Rodin de Paris a annoncé qu’il prévoyait d’ouvrir un avant-poste à Shenzhen, dans la province du Guangdong au sud de la Chine. A Shanghai ou ailleurs, quelles que soient les formes de coopération, la France compte bien profiter de la demande croissante de la Chine pour l’art, 3e marché mondial derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

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