Quand commence un krach boursier ? Et qu’appelle-t-on ainsi ?

Finance

publication du 14/04/2025

Eric Pichet, professeur à KEDGE et directeur du programme IMPI Gestion Patrimoniale et Immobilière revient sur le concept de krach boursier. Il met en parallèle la récente baisse des marchés financiers suite aux annonces de Donald Trump et le krach historique de 1929.

Dès que les marchés financiers baissent soudainement, l’ombre d’un krach refait surface, et avec elle tout un imaginaire de crise économique venue des années 1930. Mais à partir d’une chute de quelle ampleur peut-on parler de krach ? A-t-il toujours des conséquences négatives sur l’économie réelle ? Et la chute récente des marchés à la suite des annonces de Donald Trump sur les droits de douane constitue-t-elle un krach ? Ou cède-t-on à la panique quand on emploie cette expression ?

Que désigne l’expression krach boursier ?

Le terme de krach (grand bruit en allemand) apparaît pour la première fois dans le langage boursier lors de la chute des marchés viennois et berlinois de 1873. Depuis il désigne une forte baisse des cours principalement sur les marchés actions, mais également sur les obligations (on parle alors de krach obligataire) voire sur les devises ou les matières premières, comme le krach de l’argent métal en mars 1980. La fermeture retentissante du marché à terme parisien du sucre en 1974 constitue un autre exemple qui a inspiré un film attribuant – à tort – la flambée puis l’effondrement du marché à une coterie de spéculateurs.

Qui décide quand une chute devient un krach ?

Aujourd’hui, le terme désigne principalement une chute des marchés actions et les acteurs de la Bourse ont progressivement circonscrit l’expression à toute baisse brutale du marché supérieure à 20 % par rapport au plus haut le plus récent, et cela dans un délai très court ( d’une à cinq séances en général). À cette aune, on parlera sans doute dans les annales boursières du krach de Trump. Les États-Uniens parlent déjà du « Trump Put » (la baisse de Trump) ou du krach des droits de douane du début avril 2025 même si on n’a pas atteint exactement les 20 % de baisse. En effet, le Dow Jones a chuté de plus de 45 000 points au plus haut le 30 janvier 2025 (soit 10 jours après l’investiture du nouveau président) à 36 600 points le lundi 7, soit une correction de 18,67 %. Le CAC 40 quant à lui plafonnait à 8 200 points le 18 février avant de toucher un point bas à 6 764 points le 7 avril : une baisse de 17,5 %.

Pourquoi se réfère-t-on toujours au krach de 1929 ?

Dans l’imaginaire collectif, le krach de 1929 est toujours le krach archétypal. Entre le 22 octobre et le 13 novembre, le Dow Jones a perdu 40 % avec des séances comme le jeudi 24 octobre (le fameux jeudi noir dans la mythologie boursière) marqué par une baisse de 22 % durant la séance (mais finalement de seulement 2 % en clôture) ou le lundi 28 octobre, la pire séance de l’époque avec 13 % de baisse. Churchill alors en visite aux États-Unis a d’ailleurs alimenté la légende noire du krach en lançant la rumeur (sans fondement) d’une vague de suicides de spéculateurs par défenestrations.

Est-ce la plus grande baisse des marchés financiers jamais observée ?

Non. Le pire jour de l’histoire de Wall Street reste le lundi 19 octobre 1987. Après une baisse de 4 % le vendredi 16 octobre, le marché a subi alors un écroulement de 22,6 % bien supérieur au lundi noir de 1929.

Si l’on se réfère encore au krach de 1929 et moins à celui de 1987, c’est essentiellement pour ses conséquences sur l’économie réelle et la dépression qui a suivi, largement dues aux erreurs des 4 grandes banques centrales de l’époque (la Fed, la Bank of England, la Banque de France et la Reichsbank allemande). En maintenant leurs taux d’intérêt à des niveaux supérieurs à 4 %, elles ont étouffé l’économie et transformé une inévitable récession due au retournement du cycle économique américain après les excès des années 20 en une profonde dépression déflationniste dont il fut très douloureux de sortir.

Les leçons de 1929-1933 ont d’ailleurs été retenues par les banquiers centraux contemporains puisque les crises boursières de 1987, de 2001 et surtout de 2008 (crise des subprimes) et 2020 (crise du COVID) ne se sont pas transformées en dépressions généralisées grâce à des baisses rapides, brutales et concertées des taux des grandes banques centrales et même à l’utilisation inédite du Quantitative Easing parallèlement à des politiques contracycliques unanimes des États qui ont laissé filé leur déficit budgétaire.

Comment expliquer la baisse de Wall Street au début du mois d’avril ? Va-t-on assister à un krach ?

Il faut d’abord rappeler que la correction actuelle sur les marchés actions n’a rien d’irrationnel, les cours ayant atteint début 2025 des niveaux stratosphériques aux États-Unis avec l’envolée des actions des 7 Magnifiques et les promesses mirifiques de l’intelligence artificielle. Les cours des actions américaines ont, en effet, augmenté de 360 % depuis 2010 contre 40 % pour le reste du monde.

À court terme, les marchés vont évoluer au gré des annonces douanières erratiques de Donald Trump comme l’a montré la reprise technique violente des Bourses américaines le mercredi 9 avril. Il est fort probable qu’il poursuive une stratégie brouillonne de confrontation commerciale avec les pays excédentaires, au premier rang desquels figure la Chine. En effet, son obsession pour les droits de douane et son culte de William Mc Kinley, le 25e président des États-Unis, célèbre pour avoir augmenté fortement les droits de douane (avant de reconnaître peu avant son assassinat en fonction que c’était une erreur) sont très profondément ancrés en lui et constituent une des rares pierres angulaires de son idéologie. Dans ces conditions, on voit mal comment l’Amérique et ses partenaires commerciaux pourraient échapper à une récession et les marchés financiers, reflets à long terme d’économies qui ont besoin de stabilité, à un Bear Market, un marché durablement baissier.

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