Netflixisation du secteur des jeux vidéo, quels enseignements en tirer ?

Développement durable

publication du 02/09/2022

Cet article a été co-écrit avec Théodore Jowett, Diplômé du MSc International Business

La numérisation a entraîné l’émergence de nouveaux modèles économiques capables de transformer des secteurs d’activité tout entiers. Les secteurs des médias et du divertissement se sont métamorphosés ces dix dernières années avec l’apparition des plateformes numériques par abonnement telles que Netflix, Amazon Prime et Disney+ pour les films et les séries, ou Spotify et Deezer pour la musique, entre autres exemples. Fort du succès de ces plateformes, un mouvement similaire touche désormais le secteur du jeu vidéo. Théodore Jowett et Neva Bojovic analysent cette tendance.

L’émergence d’un nouveau modèle

Si l’on compare les modèles par abonnement dans le domaine des jeux vidéo et dans celui des films et séries, la première grande différence tient au temps passé. Un joueur consacre beaucoup de temps à un jeu vidéo, réparti sur plusieurs longues sessions, alors qu’un film mobilise généralement le spectateur pendant une seule session de deux à trois heures. La deuxième différence est que, dans le jeu vidéo, le modèle par abonnement est en concurrence avec une multitude d’autres modèles déjà établis, comme le modèle du free-to-play. Celui-ci a séduit de nombreux joueurs, qui préfèrent payer pour obtenir des éléments et des services dans le jeu par le biais de microtransactions plutôt que d’effectuer un paiement unique de 60 euros pour acheter un jeu, ou de payer un abonnement de 15 euros par mois pour y accéder. Par exemple, en 2020, les jeux sur mobile, qui sont le support naturel des jeux en free-to-play, ont généré 86,4 milliards de dollars (Statista, 2021), soit environ la moitié des revenus de l’industrie du jeu vidéo.

Les conséquences sur le secteur du jeu vidéo

L’adoption de ce modèle va avoir des conséquences importantes sur le secteur du jeu vidéo. Cela va amener les éditeurs à revoir leur stratégie et ainsi offrir une multitude de nouvelles possibilités, notamment en ce qui concerne l’extension du cycle de vie des jeux et l’engagement des joueurs. Le jeu vidéo passera ainsi d’un statut de produit « linéaire » à celui de produit « live », ce qui pourra permettre aux éditeurs de stabiliser, contrôler et augmenter leurs revenus. Avec le modèle « live », les éditeurs renoncent au « jeu en tant que produit » au profit du « jeu en tant que service », investissant constamment dans de nouvelles fonctionnalités, de nouveaux contenus, de nouveaux événements et de nouvelles mises à jour pour stimuler l’engagement des joueurs et maximiser les revenus générés par un jeu ou une franchise.

La vision de Microsoft en faveur d’un modèle par abonnement

Sous l’impulsion des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), mais aussi des éditeurs « traditionnels » comme Ubisoft ou Electronic Arts ou encore des fabricants de consoles, de nouveaux services de distribution ont commencé à voir le jour. La montée en puissance du modèle économique par abonnement a également entraîné des évolutions intéressantes dans la configuration du marché du jeu vidéo, faisant apparaître de nouveaux leaders. L’un d’entre eux est Microsoft, qui est récemment devenu le troisième acteur du secteur, juste derrière Tencent et Sony.

Xbox Game Pass est la plateforme d’abonnement proposée par Microsoft. Lancée en 2017, initialement pour Xbox, elle compte aujourd’hui plus de 300 jeux téléchargeables auxquels on peut accéder via différentes plateformes, dont le PC et le mobile. « Nous construisons une plateforme qui peut toucher des milliards de joueurs », explique le CEO de Microsoft Gaming, Phil Spencer. « Que ce soit sur console, sur PC, ou en streaming sur le cloud Xbox, les joueurs doivent pouvoir accéder au jeu qui leur plaît, quel que soit l’appareil utilisé. »

Ce nouveau mode de distribution et de consommation gagne en popularité, les jeux étant beaucoup plus accessibles et moins onéreux que dans l’ancien système de vente à l’unité en magasin. En janvier 2022, selon les données de Statista, Xbox Game Pass comptait 25 millions d’abonnés payant en moyenne un forfait de plus de 10 dollars par mois. Ce chiffre a connu une hausse significative puisque la plateforme ne comptait qu’environ 10 millions d’abonnés en avril 2020.

Ce tour de force, Microsoft l’a réussi en se lançant dans une campagne massive de rachat d’éditeurs tels que ZeniMax Media (7,5 milliards de dollars en 2021) ou Activision Blizzard (près de 68,7 milliards de dollars en janvier 2022). Microsoft veut proposer le meilleur service et la meilleure expérience possible pour sa marque Xbox afin d’offrir la plateforme la plus compétitive et la plus utilisée sur le marché, dans le but d’ajouter de nouvelles franchises emblématiques et ainsi renforcer son attrait pour la communauté des gamers. Ces acquisitions reflètent également la stratégie de Microsoft, qui entend augmenter les abonnements à sa plateforme Xbox Game Pass. Le rachat d’Activision Blizzard, qui compte près de 400 millions de joueurs actifs par mois dans 190 pays, contribuera ainsi à faire de Xbox Game Pass le leader des plateformes de jeux par abonnement.

Les initiatives récentes de Microsoft confirment sa vision en faveur d’un modèle par abonnement. Ainsi, en juin 2022, Microsoft et Samsung ont annoncé un partenariat qui permettra d’accéder aux jeux Xbox sur les téléviseurs intelligents Samsung sans qu’il soit nécessaire de posséder une console, offrant ainsi une expérience du jeu vidéo en streaming aussi fluide que n’importe quelle plateforme de streaming sur télévision.

Tandis que la netflixisation du jeu vidéo progresse, Netflix dévisse

Après des années de croissance soutenue, Netflix commence à perdre des abonnés. En mai 2022, pour la première fois en dix ans, l’entreprise a fait état d’une perte de son nombre d’abonnés, indiquant que ce chiffre allait continuer à diminuer. Des tendances similaires ont été observées chez d’autres sociétés de streaming vidéo. Les raisons de cette évolution sont nombreuses – on peut citer la perte des abonnés russes, le partage des mots de passe et l’intensification de la concurrence ou « guerre du streaming » –, et il est naturel que les autres secteurs ayant adopté le modèle par abonnement aient eux aussi certaines inquiétudes.

Toutefois, une guerre du streaming dans le secteur du jeu vidéo paraît moins probable, car le rapport entre les différents acteurs est beaucoup plus complexe que dans le streaming vidéo. De fait, les acteurs du jeu vidéo tendent à collaborer pour augmenter le nombre de jeux disponibles dans leur catalogue et ainsi attirer plus de joueurs. Par exemple, Microsoft et EA se sont associés pour fusionner leurs offres respectives à travers la plateforme Xbox Game Pass Ultimate. Dans le même contexte, PlayStation a récemment ajouté Ubisoft+ à son catalogue. La guerre du streaming n’est donc pas à l’ordre du jour, et, grâce au streaming, nous pouvons espérer voir se nouer de nouveaux partenariats prometteurs synonymes d’expériences de jeu exaltantes.

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