Entrez dans l’ère du « marketing renversé »

Marketing & nouvelle consommation

publication du 10/05/2017

« Faut-il réinventer le marketing ? » C’est la question que Philip Kotler, considéré comme l’inventeur du marketing, se posait en 2011 au regard de la limitation des ressources naturelles et de la hausse des coûts environnementaux. Derrière cette question, c’est un changement radical des fondamentaux du marketing, pour ne pas dire un renversement total, qui prend forme.

Aujourd’hui, les marketeurs doivent réviser leurs concepts et leurs pratiques pour proposer une relation aux consommateurs plus pérenne et plus durable. Une nouvelle approche qui pousse à mieux considérer les implications des actions marketing sur « le bien-être sociétal », en allant au-delà de la préoccupation écologique en incluant aussi la santé, l’équité sociale, l’équité économique et la qualité de la vie pour tous. C’est le « flipped marketing » (« marketing renversé », NDLR).

Cette prise de conscience a tout d’abord émergé au travers de questions qui ont peu à peu été soulevées, remettant en cause les certitudes des vieux modèles du XXe siècle. Et s’il existait une limite au marché ? Et si de plus en plus de personnes désiraient consommer moins mais mieux ? Et si les stratégies low cost étaient de plus en plus montrées du doigt ? Et si le jeu de l’hyper concurrence se montrait nocif pour l’environnement, stressant pour le personnel et peu rémunérateur pour le capital ? Et si les stratégies marketing n’avaient plus pour objectif suprême la rémunération du capital mais celle de toutes les parties prenantes ?

Loin d’être la fin du monde, il s’agit plutôt de la fin d’un monde. Certains prennent la nouvelle comme une menace, une contrainte. D’autres comme une réelle opportunité. Ces tendances s’illustrent dans quasiment tous les domaines d’activité, de l’énergie à la banque en passant par la téléphonie ou encore la grande distribution.

Des produits plus chers mais plus propres

L’une des consommations ayant le plus d’impact sur l’environnement est celle de l’énergie, notamment dans le domaine du logement. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à avoir envie d’utiliser une énergie qui ne soit ni fossile ni fissile, hors du pétrole et hors du nucléaire.

Enercoop propose cette énergie-là. Son engagement repose sur ses partenariats dans l’hydraulique, l’éolien, le solaire et la biomasse. Cette coopérative assure à chacun de ses clients de jouir d’une énergie propre, quitte à la payer légèrement plus cher. C’est le « prix à payer pour la transition ».

Mais ce changement suppose que les consommateurs ne privilégient pas que le prix dans leur choix de consommation. Un parti pris difficile à renverser au regard de notre modèle façonné par la globalisation et la standardisation.

Des « consomacteurs » fidélisés

Or, la standardisation connaît elle aussi ses limites, surtout lorsqu’elle est portée à son paroxysme dans le contexte mondialisé. Dans la notion de « flipped marketing », la marque, qui est sans doute l’un des outils les plus puissants du marketing conventionnel, est aussi détournée. Toute marque digne de ce nom se doit d’avoir identifié une cible, exprimé une promesse, adopté un style et prouvé ses engagements. Elle se doit de rassurer et, pour ce faire, la marque se standardise. Or, on sait que la standardisation produit des déchets, un gaspillage et une réduction de la biodiversité qu’un peu de bon sens pourrait éviter.

L’histoire de la marque Gueules Cassées, un contre-exemple du domaine agroalimentaire, montre comment sortir efficacement de ce paradoxe. Cette entreprise met sur le marché des fruits et légumes présentant de petits défauts de forme qui n’altèrent en rien leurs qualités gustatives, vendus 20 à 30% moins cher que leurs concurrents directs. Cette approche permet de réduire le gaspillage (lire aussi la chronique : « Pourquoi vous devez miser sur le gaspillage alimentaire »).

Pour y parvenir, elle transforme ses clients en ambassadeurs en leur proposant de démarcher eux-mêmes les points de vente pour exiger la présence des Gueules Cassées. En donnant un rôle d’acteurs, et plus seulement de consommateurs, à ses clients, l’entreprise leur délivre un véritable pouvoir d’action. Dès lors, plus que les produits ou les services, ce sont des valeurs communes qui unissent les clients à l’entreprise, entraînant de facto celle-ci vers des pratiques plus responsables.

Des comportements plus éthiques

Philip Kotler, comme Barry Emery, auteur du manuel de référence « Sustainable Marketing », signale la nécessité grandissante de comportements éthiques de la part des entreprises. Non seulement pour des raisons morales, mais aussi parce qu’il existe aujourd’hui une réelle attente du public. Or, l’art du marketing consiste à anticiper puis à répondre aux attentes des consommateurs.

La banque est une bonne illustration de cet état d’esprit. Une mutation apparaît. Ainsi, La Nef, établissement bancaire, l’a bien compris en partant d’une simple question que se posent de nombreux clients : « Mais qu’est-ce qu’ils font de mon argent, au juste ? ». Sa promesse repose d’une part sur la transparence des placements et d’autre part sur leur utilité sociale et environnementale. Le tout sous le contrôle du label Finansol, véritable garantie pour le client. La relation avec le client s’en trouve renforcée et peut alors s’inscrire dans la durée.

Des produits conçus pour durer

Les renversements observés dans les comportements des consommateurs proviennent souvent de leur motivation et de leur désir de participer à ce que l’on appelle « l’économie de transition ». Même s’il revient aussi à la puissance publique d’accélérer le mouvement dans un cadre législatif, comme cela a été le cas pour la loi promulguée à l’été 2016, condamnant les pratiques d’obsolescence planifiée.

A ce titre, le secteur de la téléphonie mobile est particulièrement évocateur. En quelques années, en effet, plusieurs milliards d’humains se sont retrouvés avec un téléphone dans la poche. Résultat : cette croissance s’est faite à marche forcée et il a fallu fermer les yeux sur les conditions dans lesquelles ces téléphones sont produits. A commencer par leurs composants et les matériaux qu’ils embarquent, métaux rares faisant l’objet d’une exploitation particulièrement controversée.

Fairphone, concepteur de « téléphones durables », fait figure de pionnier pour lutter contre cette tendance. L’entreprise se positionne en effet sur la durabilité de ses produits et sur un « sourcing responsable » (démarche qui prend en compte l’impact environnemental dans les processus de sélection des fournisseurs, NDLR). Anticipant les évolutions technologiques, le produit est conçu pour évoluer et ainsi réduire son empreinte écologique, là où les concurrents ne pensent qu’à renouveler les versions pour stimuler le ré-achat. On est bien ici dans une logique de dé-consommation qui est une base du marketing durable.

Des messages simples

Autant de cas de figures qui illustrent l’essor du « flipped marketing ». Cette nouvelle orientation délivre six messages simples :

  1. Répondre à une attente de produits bons, sains et justes. 
  2. Etre fier du prix à payer afin de préparer la transition. 
  3. Rendre le public acteur du changement en l’associant à la conception des produits et des services offerts. 
  4. Allonger systématiquement la durée de vie des produits. 
  5. Etre transparent sur les conditions de production et de distribution des biens comme des services. 
  6. Passer d’une économie de la propriété à celle de l’usage.

Mises bout à bout, ces six leçons révolutionnent le marketing. Le public en connaît de plus en plus les principes. Il en reconnaît aussi la nécessité. Reste à lui faciliter le passage à l’acte : c’est la mission que se donnent un peu partout dans le monde les « flippers du marketing ».

Lire plus d'articles de Kedge sur Harvard Business Review