Du très Grand Louvre au petit Louvre

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publication du 18/11/2025

En avril 2013 à son départ, après 12 années à sa tête, le Président Henri Loyrette laissait un Louvre « un musée en bonne santé » et, citant Zola, « à l’aise dans son époque ». Un très Grand Louvre même : une stratégie ambitieuse dans la continuité de l’esprit d’un Grand Louvre de reconquête de la première place mondiale du musée. La politique de rayonnement international et national est majeure : innovation de rupture avec le Louvre Abu Dhabi et le Louvre Lens, coup de génie que l’ouverture de ces deux antennes en même temps, à fort impact international, sociétal et social, sur deux territoires diamétralement opposés. Expositions dynamiques, public rajeuni, ouverture visionnaire du département des Arts de l’Islam autofinancé grâce au mécénat, etc. Mais dans le même temps, la gestion opérationnelle du musée était assurée : la fréquentation atteint dès cette époque un niveau record, mais gérable, car le musée est entièrement ouvert avec la négociation de 200 agents supplémentaires entre 2002 et 2006, en contrepartie d’engagements sur la productivité et le mécénat. Zéro grève entre 2001 et 2009, la gestion sociale n’a jamais été aussi bonne, la gestion financière aussi. Il faut dire que le leadership dual voulu par les statuts du Louvre (un président-directeur Général conservateur et un administrateur général gestionnaire) faisait des merveilles, avec une équipe de choc, Loyrette-Selles. Ce sont les humains qui font les organisations performantes. Culture de l’excellence et de l’action, on leur avait aussi reproché d’en faire trop, mais fallait-il en faire moins pour le Louvre ?

Octobre 2025, réveil brutal par ce cambriolage ubuesque des bijoux de la Galerie d’Apollon, révélateur de la mauvaise gestion du musée. Réputation mondiale dégradée, la surveillance au Louvre est devenue un running gag transmédia, une inspiration créative sans limite, et les touristes se pressent sur le lieu du crime. Et personne ne comprend, à l’étranger, qu’en pareille situation, la Présidente ne démissionne pas. Culture de l’irresponsabilité à la française, disent les mauvaises langues, gouvernance problématique du musée de toute façon. Le Grand Louvre était la référence de l’excellence, on a soudain le sentiment de la chute. Comment expliquer ce déclin stratégique du musée ces dix dernières années dont la sureté n’est que la partie émergée de l’iceberg ?

Plus de stratégie claire au Louvre, les priorités n’ont pas été définies en fonction des besoins du musée ni partagées avec le ministère, le personnel et les syndicats. Ce qui a conduit, entre autres résultats négatifs moins visibles, à une grave insuffisance du plan de sureté avec la conséquence qu’on connait. Les dysfonctionnements avaient pourtant été régulièrement dénoncés, mais sans que la gouvernance ne s’en inquiète, conseil d’administration impuissant, tutelle nominale du Ministère de la Culture, surdité à l’Elysée. Une crise n’arrive jamais par hasard, ce n’est pas un événement imprédictible mais bien au contraire, le résultat d’un processus, précédé de signaux d’alerteEn interne, la baisse des effectifs de la surveillance a rendu progressivement difficile la gestion la fréquentation, conduit à la fermeture croissante des salles et suscité le mécontentement du public et des personnels. À l’international, la relation de l’actuelle présidente avec Abu Dhabi exécrable depuis son passage à l’agence France-Museums, a nui au Louvre ne lui permettant pas d’autres projets avec les Emirats Arabes Unis et faisant du Louvre Abu Dhabi une innovation sans lendemain. Le Louvre s’est replié d’abord sous la Présidence Martinez puis fourvoyé ensuite sous la Présidence des Cars, comme l’analyse le rapport au vitriol de la Cour des comptes sur la gestion du musée, qui vient de paraitre. La direction du musée « a privilégié les opérations visibles et attractives au détriment des bâtiments et des installations techniques, notamment de sûreté et de sécurité », autrement dit, elle a négligé de remplir une partie de ses missions fondamentales.

En guide de stratégie, le projet pharaonique Nouvelle Renaissance est annoncé en janvier 2025 sans évaluation préalable suffisante alors que sa pertinence est fortement discutée. Son coût prévisionnel astronomique, 800 M€, trois fois les moyens annuels du ministère de la culture pour l’ensemble du patrimoine français, est d’ores et déjà largement dépassé à 1,150 Milliards d’euros suivant la Cour des comptes, alors même qu’aucun marché n’a encore été passé. Les deux justifications principales du projet sont la surfréquentation du musée et notamment de la salle de la Joconde et le lancement de schémas de rénovation des installations techniques, de sûreté et de maîtrise des risques. Sur ce dernier point, la Cour des comptes a dénoncé l’insuffisance des moyens consacrés à la sûreté et au risque incendie par le Louvre, pourtant dans une situation budgétaire florissante, ainsi que son absence de priorisation dans le projet Louvre Renaissance, a contrario des affirmations de la Présidente devant les parlementaires. 

Il existe des alternatives bien moins coûteuses et plus simples qui n’ont pas été examinées. Une solution simple serait d’élargir les horaires du musée : le plus grand du monde qui ferme à 18.00, en réalité 17.30. En l’ouvrant tous les jours en nocturne jusque 22.30, par exemple, l’amplitude de visite serait accrue de près de 50%, permettant ainsi une meilleure accessibilité au musée sans investissement démesuré et nouvelle entrée. Cela faciliterait également la venue des visiteurs français en soirée au musée, aujourd’hui rebutés par les flots de touristes étrangers qui représentent 80% des visiteurs.

La crise est toujours source d’apprentissage si on le veut bien, et elle a au moins cette vertu ici d’avoir placé la question de la stratégie et de la gestion du Louvre sur le devant de la scène. Après un premier discours de déni sur la responsabilité du musée, la Ministre de la Culture a changé d’avis et le rapport de l’Inspection Générale du ministère pointe les défaillances sécuritaires, que le ministère n’avait curieusement pas relevées jusque-là. Le rapport de la Cour des Comptes va nettement plus loin, inscrivant ce constat dans un tableau très critique sur la gestion du musée : dégradation des finances, politique d’acquisition d’œuvres surdimensionnées, investissements et politique de prestige, sous-investissement dramatique dans les travaux d’entretien et mises aux normes… Mais, du jamais-vu, la Présidente-Directrice du Louvre réplique en affirmant que les Sages ont tort d’être aussi sévères et se félicite que l’Etat lui assure toujours sa confiance pour transformer le musée. « On est atterré, on est à terre », nous confie un grand chef de projet de l’époque Loyrette. La surconfiance en soi conduit souvent à un déni de réalité, biais cognitif bien connu. Etrange leadership pour le Louvre, alors que sa réputation mondiale est ainsi dégradée. Le monde entier n’a pas fini de rire du casse de la bande de Doudou Cross Bitume.

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