Ces autres dettes que l'Etat devra digérer

Finance

publication du 18/02/2021

En plus de l'ardoise du Covid, l'Etat devra assainir les dettes de plusieurs entreprises publiques, comme celles de la SNCF et d'EDF. La facture s'annonce salée.

Le chiffre donne le tournis. À la fin du troisième trimestre 2020, la dette publique française s'est établie à 2.674,3 milliards d'euros, soit 116,4 % du produit intérieur brut (PIB).

Dans une large proportion, cette explosion de la dette en 2020 est due à la crise du Covid-19.

Mais cette pandémie complique également une équation financière déjà périlleuse pour l'Etat car plusieurs établissements et entreprises publiques accumulent de lourdes dettes.

Déjà, en 2018, la dette la SNCF mobilisait l'attention. L’Etat avait annoncé la reprise de 35 milliards (25 milliards en 2020 puis 10 milliards en 2022) sur un total de 60 milliards estimé pour la fin 2019.

Les modalités de cette reprise restent très passives.

Il s’agit d’un mécanisme de dettes miroirs : la Caisse de la dette publique enregistre une dette envers la SNCF.

A mesure que les emprunts obligataires de la SNCF arrivent à leur maturité, l’Etat se substitue à la SNCF pour rembourser les emprunts, et annule sa dette vis-à-vis de la SNCF.

Ce système a l’avantage d’étaler dans le temps le besoin de financement de l’Etat. Il a déjà été utilisé en 2007 pour reprendre 10 milliards de dette de la SNCF.

L'Etat sera sans doute encore contraint d'endosser de nouvelles dettes de l'entreprise.

En effet, en décembre 2018, la Cour des comptes, faisait déjà observer que ce soutien pourrait s'avérer insuffisant sans «amélioration de la performance de l'entreprise, au risque de voir se reconstituer à l'avenir un endettement excessif» .

La crise sanitaire est venue fracasser les derniers espoirs. La perte d'exploitation attendue pour 2020 serait de 5 milliards d'euros. La note SNCF attribuée par les agences de notation est en perspective négative.

Echange de titres

Comment tenter d'atténuer la charge de cette reprise de dette ? Cela passe par une gestion plus active qui devrait per- mettre de générer des économies substantielles. Envisageons deux pistes.

Tout d'abord, pour sa part, l'Etat français peut emprunter à un taux d'intérêt inférieur de 0,35 % à celui de la SNCF.

Pourquoi ne pas transformer dès à présent ces titres estampillés SNCF et leur substituer des obligations assimilables du Trésor (OAT) ?

L'échange des titres avait intelligemment  été proposé en 1983 par Jacques Delors pour sortir la France du guêpier de l'emprunt 1973 indexé sur l'or.

Compte tenu de la transformation du statut de la SNCF, un investisseur peut légitimement préférer détenir des obligations souveraines.

On peut aussi les y inciter. A risque plus faible, rendement minoré. L'économie pour les 35 milliards de dette à reprendre représente un potentiel annuel de 120 millions d'euros.

Dette D'Etat

Ensuite, remplacer ces titres par une dette d'Etat fournirait l'opportunité de supprimer les risques inhérents à la structure complexe des dettes contractées par la SNCF. Les titres obligataires sont libellés dans dix devises différentes.

Ils sont accompagnés d'un volume impressionnant de contrats dérivés (futures  et  options). Dans son rapport 2019, le groupe indique que ces swaps sont engagés pour réduire le coût de l'endettement. Prenons pour exemple un emprunt  d'un milliard d'euros émis en 2017, durée 12 ans.

Le mode de calcul de son coupon est assez déroutant : «à taux fixe swappé à taux variable pour la moitié [...] SNCF Mobilités a vendu une swaption pour revenir à taux fixe à hauteur de 250 millions d'euros» (Rapport financier 2017). A qui profite réellement la sophistication de cet emprunt ?

Par nature, la valeur de marché de ces contrats de swaps et d'options est instable, potentiellement explosive, au point que leur utilité peut parfois être discutée.

Le moindre décalage de taux d'intérêt, de taux de change a des con- séquences financières importantes.

D'ailleurs, l'entreprise construit des simulations de sensibilité aux différents chocs  externes.  Justifier  de  leur présence comme instrument de couverture ne suffit pas. Quand leur valeur diminue, la couverture  n'était peut-être pas judicieuse.

Dans son rapport 2019, SNCF indique que la valeur de marché instruments  dérivés  «actif»  est de 2,3 milliards d'euros, tandis que la juste valeur de passif est de 3,6 milliards.

Leur valeur «gagnante» est enregistrée à l'actif, «perdante» au passif. Par conséquent, en net, la perte potentielle de la SNCF de 1,3 milliard.

Il faut l'ajouter aux dettes. Sur la seule année 2019,  la  perte sur ces opérations dérivées traduit une baisse de valeur de 250 millions d'euros.

Eviter les surcoûts

Il serait utile que l'Etat, «emprunteur en dernier  ressort  contraint», profite  de cette reprise pour assainir ces dettes, les débarrasser de leur potentiel toxique.

Sinon, il en supportera aussi le surcoût. D'autant que la SNCF n'est pas la seule au menu.

Fin 2019, la dette brute d'EDF s'élevait à 67 milliards d'euros auxquels il faut ajouter une valeur de marché des produits dérivés pour 3,3 milliards d'euros.

Et pour clôturer cet inventaire à la Prévert, EDF a aussi émis en 2014 un emprunt à 100 ans, coupon 6 %, de 700 millions de dollars et 1,350 milliard de livres.

La Caisse de la dette publique a encore de beaux jours devant elle.

De leur côté, comme les collectivités locales en 2010, plusieurs hôpitaux nous ont donné des exemples mémorables des dangers qui recèlent certains de ces produits structurés.

Le tristement célèbre emprunt Helvetix, indexé sur le franc suisse, a généré des frais financiers et des remboursements   exorbitants qui sont venus grever la capacité d'investissement en équipement médical.