Le droit du travail évolue, avec notamment la création d’un index de l’égalité Femmes-Hommes, mesurant les efforts des organisations, sous peine de sanctions financières.
Mais qu’en est-il des mentalités ? La formation étant l’un des creusets où se forgent les comportements de demain, il est ainsi légitime de se demander si les écoles de management et les universités sont elles-mêmes exemplaires en termes d’égalité de carrières entre hommes et femmes.
Force est de constater qu’il reste du chemin à parcourir, comme le montre l’étude sur les trajectoires de carrières selon le genre que nous avons menée dans les quinze plus grandes écoles de management françaises (voir le classement de l’Etudiant et celui du Figaro).
Plafond de verre
Les écoles de notre échantillon regroupent plus de 1 800 professeurs. Leurs dénominations peuvent varier suivant les établissements, mais on distingue en général trois rangs principaux :
- Professeur assistant (grade d’entrée dans la faculté avec le titre de doctorat ou PhD)
- Professeur associé (grade intermédiaire)
- Professeur, professeur senior ou full professor (plus haut grade dans la faculté).
Les promotions d’un rang à l’autre sont accordées en interne par la direction générale de l’école ou suivant une procédure mobilisant des évaluateurs externes se prononçant sur le dossier du candidat. Malgré quelques différences, ces règles ont tendance à s’harmoniser, en partie du fait des exigences des organismes d’accréditation Equis et AACSB.
Le mérite est reconnu en fonction de critères académiques tels que le nombre, le rythme et la qualité des publications, la qualité de l’enseignement et l’engagement institutionnel. Malgré le caractère objectif de ces critères, notons que leur mesure repose en grande partie sur un principe d’évaluation par les pairs ou par le management.
Le corps professoral de ces quinze écoles est composé en moyenne de 62 % d’hommes. L’école qui maintient le meilleur équilibre arrive tout juste à 47 % de femmes, celle présentant le plus grand déséquilibre atteint les 75 % d’hommes dans son effectif d’enseignants. Il y a donc une inégalité de genre dans la composition des équipes, qui se retrouve au niveau européen. Comme le montre le classement 2018 des 95 meilleurs business schools européennes par le Financial Times, la part moyenne des femmes dans les corps professoraux s’élève à un peu moins de 36 %.
Pourtant, en Europe, les femmes sont davantage diplômées de l’enseignement supérieur que les hommes. En effet, selon Eurostat, la direction de la Commission européenne chargée de l’information statistique, la part des femmes âgées de 25 à 34 ans diplômées de l’enseignement supérieur s’établissait en 2016 à 44 % et la part des hommes à 34 %.
En Europe, les femmes représentent 55 % des étudiants et 59 % des diplômés dans le premier niveau de l’enseignement universitaire. En début de carrière d’enseignant-chercheur, elles représentent 44 % du personnel académique. Mais elles n’occupent ensuite que 21 % des postes dans le rang le plus élevé de la hiérarchie.
L’investissement des femmes dans les études et l’enseignement supérieur n’a donc pas fait disparaître les inégalités dans l’accès aux plus hautes fonctions dans le monde académique. Le plafond de verre est bien présent puisque la part des femmes décroît avec la progression dans les avancements de grades. Et le problème se retrouve au niveau des salaires car ceux-ci sont directement liés au grade.
Plus d’hommes aux postes de pouvoir
L’inégalité dans la répartition entre hommes et femmes est encore plus marquée lorsqu’on analyse l’évolution de carrière au sein des écoles de management. En moyenne dans les 15 écoles, parmi les femmes, 32 % sont professeur assistant, 47 % professeur associé et seulement 21 % professeur senior. Alors que chez les hommes, la répartition est de 23 % professeur assistant, 40 % professeur associé et 37 % professeur senior. Il y a donc en moyenne beaucoup plus de professeurs seniors chez les hommes.
Dans toutes les écoles, la proportion de professeurs seniors chez les femmes est largement plus faible que chez les hommes. Et dans certaines écoles, cette différence est énorme. Une école affiche ainsi 18 % de seniors chez les femmes et 42 % chez les hommes, une autre 9 % chez les femmes contre 31 % chez les hommes.
La répartition des genres par rang fait également apparaître des inégalités criantes. En moyenne, la catégorie de professeur assistant se compose de 45 % de femmes, celle de professeur associé de 41 % de femmes et celle de professeur senior seulement de 25 % de femmes. Autrement dit, 75 % des professeurs seniors sont des hommes. Et là aussi, certaines écoles font apparaître des différences impressionnantes.
Trois écoles de l’échantillon ont plus de 80 % de leurs professeurs seniors qui sont des hommes, et l’une d’entre elles est à 91 %. L’école qui se rapproche le plus de la parité est seulement à 42 % de femmes au grade de professeur senior, et il n’y a que quatre écoles qui dépassent les 30 %. Les hommes sont donc plus représentés dans les grades les plus élevés. Plus le grade augmente, plus l’inégalité des sexes est marquée.
Les statistiques mettent en évidence une prépondérance masculine aux postes de pouvoir. Seulement 13 % des postes de direction d’école sont occupés par des femmes. Compte tenu de la tradition d’évaluation par les pairs qui prédomine dans le monde académique, la rareté de la présence des femmes au sommet de la hiérarchie managériale et académique conduit à penser qu’il y a un effet auto-alimenté du phénomène de plafond de verre.
La situation est identique partout dans le monde. L’étude menée par AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business, l’organisme qui pilote l’une des deux prestigieuses accréditations tant recherchées par les écoles pour afficher une garantie de la qualité de leurs enseignements et nourrir leur réputation), qui porte sur la démographie du corps professoral dans 50 Business Schools de 25 pays différents, montre des résultats proches des nôtres. Sur une population de 33 275 enseignants, la proportion de femmes est de 38 % chez les professeurs assistants, 33 % chez les professeurs associés et seulement 22 % chez les professeurs seniors.
L’université française ne fait pas mieux. Une étude du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche montre que les femmes représentent 48 % des doctorants, 42 % des Maîtres de conférences, mais seulement 22,5 % des professeurs d’université. Et l’on ne trouve que 14,8 % de femmes dans la fonction de président d’université.
Poids des stéréotypes
Les explications à ce phénomène de blocage traditionnellement mises en avant se rapportent à l’articulation entre vie privée et vie professionnelle, mais également à des facteurs psychologiques liés au poids des stéréotypes. L’ambition et la compétitivité apparaîtraient toujours comme des qualités masculines et les femmes, ayant intériorisé ces stéréotypes, développeraient une moindre ambition professionnelle.
Il y aurait un « coût psychique » à surmonter pour s’imposer dans certaines carrières et un caractère sexué des stéréotypes associés au management. La conceptualisation du leadership est traditionnellement ancrée sur des compétences « dures » : l’affirmation de soi, la décision et la prise de risque. Les organisations seraient influencées par des normes dominantes et des modes managériaux calqués sur des modèles masculins.
Ces motifs s’appliquent au monde académique. Ainsi, une étude met en avant trois facteurs principaux pour expliquer la faible représentation des femmes dans les plus hautes fonctions académiques :
- L’enseignement supérieur a longtemps été fermé aux femmes, plus présentes dans l’enseignement primaire et secondaire.
- Les activités domestiques et familiales restent en majorité réalisées par les femmes, ce qui peut ralentir leur progression de carrière et limiter la possibilité pour elles de séjours à l’étranger, de participation à des projets de recherche internationaux, d’encadrement d’équipes de recherche…
- Les femmes seraient davantage tournées vers la prise de responsabilités pédagogiques dans leurs institutions, au détriment de la recherche. Or c’est cette dernière qui prédomine dans les critères d’évaluation pour les promotions.
Il faut nuancer fortement la question d’un moindre temps disponible pour le travail qui résulterait de l’investissement plus important des femmes dans la vie familiale. Dans les métiers académiques, il existe en effet une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail que dans la plupart des autres métiers.
Ainsi, si l’on retrouve de telles inégalités professionnelles dans le monde académique, c’est au niveau du poids des stéréotypes et de la reproduction de normes sociales influencées par des modèles masculins qu’il faut rechercher l’explication.
Mais l’influence masculine sur les normes, en particulier sur les critères d’évaluation pour l’octroi de promotion, est d’autant plus difficile à faire évoluer que la hiérarchie académique est dominée par les hommes. L’appareil législatif déployé par le gouvernement au niveau des entreprises pourrait être une piste de solution s’il est adapté aux spécificités du monde académique.
Les organismes d’accréditation ou de classement des écoles et universités, qui influencent fortement leur réputation, peuvent également jouer un rôle important s’ils renforcent les critères liés à la parité. Si l’on souhaite voir la société évoluer vers la parité, il est important de pouvoir appliquer celle-ci aux institutions d’éducation et de formation.