Virginie Martin ,professeure à KEDGE décrypte la série "The Split" : L'économie en série : "The Split", un cabinet d'avocats pas comme les autres

Management

publication du 30/08/2024

Virginie Martin, Politologue, professeure à KEDGE et spécialiste des séries télévisées, analyse la série britannique "The Split".

Avocates de mère en filles, les héroïnes de la série britannique The Split mêlent vie intime et vie professionnelle dans une forme de management holistique qui n’est pas sans danger. 

The Split, c’est d’abord une affaire de famille, mais pas que...Cette affaire de famille dépend d’une sorte de family business se conjuguant essentiellement au féminin, et c’est là l’originalité de cette fiction anglaise. Ici, on est avocate de mère en filles et de sœur en sœur. Au sommet de ce matriarcat juridique, Ruth, 70 ans. L’œil vif et la clairvoyance en bandoulière, elle s’est taillé une réputation dans les affaires familiales. Comme un jeu de miroirs et de reflets, cette fiction est une mise en abyme des propres vies de nos héroïnes: Hannah, Nina et Ruth.

Dans cette série, tout s’enchevêtre, et les plaignants et autres demandeurs bénéficient autant des compétences de juristes des trois femmes que de leurs expériences de vie. Si le commerce des sentiments est inégalement juteux pour nos protagonistes, le plus souvent, il se décline en records financiers : contrat prénuptial pharaonique, divorce en millions de livres, tromperie qui se paie cash... Le love business est bien au cœur de notre fiction. L’équation entre pertes et profits sous-tend cette série : laisser filer maisons et appartements ? Oublier le coup de canif dans le contrat ? Tout anticiper en prévision de l’inéluctable séparation ? Se battre jusqu’au bout ? Renoncer ?

Quand le personnel côtoie le professionnel

En somme, évaluer les coûts, tant financiers qu’émotionnels. La subtilité de The Split est largement portée par le style de Ruth, Hannah et Nina qui, sans complexe, mêlent sphères amicale, familiale, amoureuse et professionnelle. Les frontières s’effacent et ce style, en creux, souligne combien il est illusoire de travailler en gommant son individualité, en dissimulant sa propre signature. Face à ce trio de juristes, d’aucuns pourraient dire que nous sommes dans un idéal type de management au féminin. Certes, l’image tout en testostérone d’un Harvey Specter – Suits – est très loin, mais tout autant que celle des ambitieuses avocates à la Diane Lockhart dans The Good Wife ou à la Patty (Glenn Close) dans Damages.

Dans cette fiction, le management reste plutôt bienveillant, tribal en quelque sorte, et fait de la vie privée un axe indépassable. Une façon de travailler qui prendrait l’individu dans sa globalité. Un management qui va autoriser le boss d’un des cabinets d’avocats à présenter le nouveau «chargé d’audit» comme étant son mari. Vous avez dit conflit d’intérêts ? Qu’importe : ici, vie intime et vie professionnelle fusionnent pour le meilleur, certes, mais aussi pour le moins bon.

Pour le meilleur, car ces façons de faire font la part belle à une sorte de management «holistique» : chaque protagoniste est présent, empathique, à l’écoute, concerné, patient, médiateur. On est humain, toujours. Mais attention, cette gouvernance holistique reste fragile et sous le joug de personnalités particulières, ici notamment Ruth, Hannah et Nina.

Les dangers d'un management en tribu

Partant, ce type de management peut-il vraiment devenir routinier ? N’est-il pas trop «personnalisé» ? N’est-il pas trop attaché, soumis au bon vouloir d’un individu ou, ici, d’un clan ? Cette façon de faire qui ne sait plus distinguer sphère publique et sphère personnelle est-elle souhaitable ?

Et c’est peut-être là que le bât blesse. Sans ménagement, ces avocates vivent l’entreprise avec mari, ex-mari, amant, jeune sœur… Elles fonctionnent en tribu et ne posent jamais aucune limite à leur mode de fonctionnement, une tribu extensible qui finit par percuter, sans nuance aucune, tous les pans de l’entreprise.The Split, c’est finalement une sorte d’importation du domestique dans le professionnel… ce qui semble risqué tant pour le «clan» que pour ceux qui «ne sont rien». L’un finit par se noyer dans ses propres méandres, quand les autres assistent, effarés, au spectacle.

The Split porte en effet très bien son nom car, de toute part, ça craque et ça se déchire.

Retrouver l'article ici