Développer des campagnes publicitaires en utilisant le storytelling est un challenge relevé par de plus en plus de marques, et les consommateurs en raffolent. Mais cette stratégie ne consiste pas simplement à apposer une histoire sur un message commercial. Les marques ont compris que les canaux digitaux se prêtaient parfaitement à la diffusion d’histoires, surtout en format vidéo. Il suffit en effet de voir le succès de certaines d’entres elles sur YouTube pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène.
A titre d’exemple, chaque année, le grand magasin britannique John Lewis émeut les internautes avec ses publicités de Noël. La dernière en date, #BusterTheBoxer, a recueilli plus de 24 millions de vues. La campagne #CommeUneFille d’Always avait également défrayé la chronique avec son message engagé et plus de 5 millions de vues rien que sur sa chaîne française. Les grandes marques commerciales n’ont cependant pas le monopole de cette stratégie.
Le secteur associatif s’empare aussi du storytelling. « A long five years » raconte l’histoire surréaliste d’une mère qui « reste » enceinte pendant cinq ans car elle ne peut pas bénéficier des congés parentaux aux Etats-Unis. Cette vidéo, visionnée 70 000 fois le jour de sa sortie, a été diffusée par l’organisme à but non lucratif américain National Partnership for Women & Families.
Le fait que ce format publicitaire soit percutant n’est pas surprenant : les histoires font appel à des émotions et à des archétypes profondément ancrés dans l’inconscient collectif. Contrairement aux messages publicitaires factuels qui semblent « manipulateurs », les histoires transportent et font rêver (lire aussi la chronique: « Révélez l’âme de votre entreprise à travers le storytelling »). De plus, les utilisateurs de YouTube reconnaissent ne pas zapper les publicités de storytelling autant que celles qui sont les plus factuelles. Cela rejoint les conclusions d’une conférence AdWeek qui souligne la possibilité qu’offre le storytelling de mieux capter l’attention des internautes.
A l’heure où chacun semble s’y essayer, il reste à comprendre comment instiller du storytelling dans une publicité. Existe-t-il une science de la discipline et quels sont les différents formats possibles ?
Des personnages en mouvement
Le storytelling dans la publicité relève de l’utilisation de la structure d’une histoire pour partager un message commercial. Jennifer Escalas de la Vanderbilt University à Nashville explique que pour qu’une publicité raconte une histoire, elle doit comprendre un ou des personnages réalisant des actions motivées par des objectifs, montrer une évolution dans la situation de ce(s) personnage(s), avoir un début, un milieu et une fin clairs. Alan Beard, le directeur marketing de l’agence Fullscreen Media, rappelle aussi l’importance de ne pas centrer l’histoire sur la marque et ses produits.
Présence de personnage(s) humain(s)
Evolution temporelle de la situation de ces personnages
Absence du produit ou de la marque dans l’histoire
Bien que la littérature prescrive des éléments précis de ce qui constitue idéalement une structure narrative, les publicitaires se soucient peu de ces codes et la créativité des approches suggère une pratique du storytelling en mutation. En effet, il est de plus en plus difficile de distinguer une publicité de storytelling pur (avec les trois éléments ci-dessus clairement représentés) et une publicité factuelle (présentant un produit et sa fonction). Le storytelling se mêle à des messages factuels et, à l’inverse, les publicités factuelles intègrent de plus en plus d’éléments de mise en récit.
On retrouve désormais des publicités qui se situent à la confluence des trois caractéristiques du storytelling, signalant la variété et la richesse des pratiques.
A chaque marque son storytelling
Les exemples ci-dessous permettent d’identifier les utilisations de ces styles et les types de marques et de contextes pour lesquelles elles fonctionnent le mieux.
- Le storytelling pur. Cette variante utilise les trois caractéristiques fondamentales : elle montre des personnages en action et en évolution d’une situation initiale à un état différent, se concentrant sur leur quotidien ou sur leur évolution dans la durée, et le produit ou la marque n’est pas présent dans l’histoire. Nivea se démarque avec ce type de publicités à travers des vidéos comme « Merci maman », sur sa chaîne allemande. La marque apparaît tout de même à la fin de la vidéo, pour éviter que l’audience ne puisse attribuer la publicité à une autre marque (comme ce fut le cas pour la vidéo « First Kiss » de la marque de vêtements Wren Studio). Budweiser a également adopté cette technique avec son petit « Chien perdu ». Ce type de publicité fonctionne pour des marques déjà établies. Elle permet de manière subtile de rappeler les valeurs fondamentales de la marque, sans mettre celle-ci en avant.
- Le storytelling sans histoire. Il met en scène un personnage dans une situation non évolutive. L’objectif n’est pas réellement de raconter une histoire mais plutôt de transmettre un message ou une valeur de la marque. C’est ainsi une forme de légèreté qui est mise en avant par Three : le fournisseur d’accès Internet signe une publicité irrésistiblement drôle mais sans intrigue avec son « Dance pony dance » où l’on voit un poney danser sur une falaise.
- Le storytelling démo produit. Les constructeurs automobiles y ont souvent recours. Ils allient une histoire incarnée, mais ne peuvent s’empêcher d’y inclure leur produit de façon très visible et de vanter ses prouesses techniques. On retrouve cette approche chez Audi par exemple pour la sortie de la R8. Typiquement appliqué à des biens plus techniques ou dans le cadre du lancement d’un produit, ce type de storytelling allie la promotion au rappel des valeurs de la marque, faisant d’une pierre deux coups.
- Le storytelling inanimé. De plus en plus de scénarios se basent sur des récits d’animaux, ou mieux encore, d’objets. Ces histoires ont une intrigue, un message et les personnages sont inhabituels, comme la publicité d’Android avec des pierres, des papiers et des ciseaux. Parfois, le produit est lui-même un personnage à qui il arrive des aventures, comme chez M&Ms, avec Jaune ou Rouge.
Cette interprétation du storytelling est probablement la plus proche de la publicité factuelle, mais on peut néanmoins parler de storytelling à partir du moment où il y a des personnages et une intrigue. Qu’il utilise des personnages animaux, des objets ou des produits, ce type de storytelling peut être très percutant (les animaux sont adorables, les objets inattendus ou loufoques). Il est toutefois à manier avec parcimonie, car généralement plus abstrait qu’une publicité avec des humains.
Le storytelling peut donc être utilisé à des fins très diverses et ne constitue pas une méthode monolithique de promotion. Il ne suffit pas de réaliser une publicité drôle et qui fasse le buzz pour se targuer d’avoir une stratégie de storytelling : celle-ci doit être calibrée en fonction des objectifs marketing, du type de produit et de son cycle de vie, et s’inscrire dans une logique pérenne.