Ainsi la semaine de jeûne et prières organisée en février à l’Église Évangélique de Mulhouse a été présenté comme un important foyer de diffusion de contagion en France et à l’étranger. Suite aux mesures de confinement, les lieux de culte protestants, les synagogues et les mosquées ont été fermées les uns après les autres, seules les églises catholiques restent ouvertes en France, mais sous condition que les fidèles respectent les distances de sécurité.
À l’approche de Pessah, Pâques et Ramadan (débutant respectivement les 8, 12 et 23 avril) nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la façon dont ils pourront respecter les célébrations religieuses. Le 23 mars, le Président de la République Emmanuel Macron a réuni en visio-conférence les autorités religieuses en France et a annoncé que les festivités ne pourront donner lieu à des rassemblements physiques, les incitant dans le même temps à réfléchir à des modalités adaptées au restrictions établies.
Les recherches portant sur les rituels de consommation, tant sacrée que profanes, offrent quelques pistes pour mieux comprendre comme ces festivités pourront être influencées par le confinement.
Une expérience de communauté mise à mal
La religion est une expérience de communauté. Les rituels religieux ont une dimension collective qui prévoit parfois des contacts physiques entre participants ou entre les fidèles et célébrants qui, pendent une pandémie, doivent être modifiés ou supprimés.
Avec son décret du 25 mars En temps de Covid-19, la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements – organe compétent en matière de réglementation de la liturgie et des sacrements – a prévu que dans tout pays touché par le Covid-19, les rites de la Semaine sainte seront célébrés sans la présence du peuple.
Il faudra donc éviter les éléments qui comportent un contact physique comme la célébration commune de la même messe par plusieurs prêtres, l’échange de paix, le lavement des pieds du Jeudi saint, et l’adoration de la Croix par le baiser du Vendredi saint (réservée aux célébrants). Les expressions de la piété populaire et les processions de la Semaine sainte devront aussi être annulées ou reportées.
De son côté, le Président du Conseil français du Culte musulman (CFCM) dans son message « Préparons-nous à vivre autrement le mois béni de Ramadan 1441 » a fait le point sur les activités qui seront impactées par la fermeture des mosquées : en particulier, les fidèles devront accomplir leurs prières journalières chez eux ; la pratique du jeûne n’est pas directement affectée par la pandémie ; les prières quotidiennes du soir de Tarawih, qui sont recommandées et très méritoires mais non obligatoires, pourront être également accomplies chez soi.
Garder le lien grâce aux médias et aux réseaux sociaux
Dans l’impossibilité de garder la façon traditionnelle de célébrer leurs rituels, les autorités religieuses ont fait preuve de créativité dans l’utilisation des médias traditionnels et des nouvelles technologies de communication pour garder le lien entre célébrants et communautés, et entre les fidèles.
Le susmentionné décret « En temps de Covid-19 » précise que les fidèles doivent être informés des horaires des célébrations pour s’unir en prière de chez eux, en utilisant si possible les médias.
Le CFCM constate également que les initiatives des associations musulmanes pour transmettre à l’heure de la prière du vendredi des interventions et des messages des imams pourraient permettre aux fidèles de garder le lien avec leurs mosquées et leurs imams dans la période de confinement.
Les rabbins du Consistoire de Paris se sont mobilisés pour offrir aux fidèles, en impossibilités de fréquenter les synagogues, des chiours (cours) chaque jour du confinement. Les églises protestantes profitent aussi des nouvelles technologies et des réseaux sociaux avec des WhatsApp ou des pages Facebook paroissiales, des mails informatifs sur les émissions protestantes disponibles, des visites pastorales par le biais du téléphone, et même des chaînes téléphoniques destinées aux personnes isolées.
Même le pontificat a su faire preuve d’innovation avec une grande cérémonie médiatique qui a suscité une grande émotion au sein de la communauté catholique. Le vendredi 27 mars, dans une Place Saint-Pierre vide et sous la pluie, le Pape François a présidé un moment extraordinaire de prière en temps d’épidémie, avec lequel il a donné la bénédiction « Urbi et Orbi » (à la ville de Rome et au monde) et a accordé l’indulgence plénière aux malades, au personnel de santé, aux familles des malades et à tous ceux qui s’occupent de ces derniers en demandant simplement, dans un contexte où il n’est pas possible de participer à la messe ou de se confesser, de s’unir spirituellement à la célébration par le biais des médias.
Les impacts sur les célébrations des familles
Pâques, Pessah et le ramadan comportent aussi des rituels de consommation qui sont aussi remis en question par le confinement. Il s’agit entre autres des réunions conviviales familiales et de la préparation et consommation de mets et repas typiques.
Une première conséquence de la pandémie sera que les familles ne pourront pas se réunir. Pour certaines, ça voudra dire fêter seulement avec les membres de leur famille avec lesquels ils cohabitent. Pour les personnes en colocation qui ont l’habitude de rentrer chez leurs familles d’origine pendent les festivités, il s’agira de passer la période de fête dans une situation sociale inédite. Et il y aura également des personnes qui se trouveront à célébrer toutes seules. Les nouvelles technologies rendront probablement possible d’ajouter une place virtuelle à la table pour les membres de la famille éloignés.
Dès du début du confinement, des applications comme Houseparty, Skype, WhatsApp et Zoom ont permis d’organiser des fêtes entre amis, des pauses cafés et des apéros virtuels. Les couples en ont profité pour déjeuner ou dîner ensemble à distance. Il s’agit des mêmes technologies avec lesquelles des nombreux personnes se sont familiarisées grâce au télétravail et au cours en ligne des écoles et des universités. Les familles sauront sans doute en profiter pour garder le lien avec leurs proches pendent les festivités de Pessah, Pâques et du ramadan.
D’autres difficultés seront liées à la préparation de plats. Avec la réduction obligée des déplacements et la situation de surcharge des services d’e-commerce, il ne sera pas possible de se procurer tous les ingrédients, les décorations, et les objets rituels nécessaires. Les éleveurs estiment que le confinement causera une chute du marché des agneaux de Pâques. Les chocolatiers, pour lesquels Pâques représente une partie importante du chiffre d’affaires annuel, font également des prévisions catastrophiques. L’absence de certains parents peut aussi poser la question du manque de compétences nécessaires à la confection de certains plats conformément aux traditions : pensons aux savoirs culinaires des mères et des grand-mères.
La situation la plus compliquée sera probablement vécue par les consommateurs juifs, en particulier pour ce qui concerne le repas rituel du Séder, célébré en famille et qui requiert un plateau rituel avec des aliments spécifiques symbolisant l’Exode hors d’Égypte du peuple juif. Vue l’extraordinaireté de la situation, les autorités religieuses se sont prononcées pour aider les familles à maintenir le sens du rituel. Dans son Addeddum au Guide de Pessah de l’an 5780/2020, le Grand Rabbin de Paris a par exemple spécifié que s’il y a des difficultés à se procurer l’une ou l’autre des denrées prescrites c’est sans gravité ; les seules exceptions à cet égard sont la matsa (pain azyme) et le maror (herbes amères), qui restent obligatoires. Pour les juifs orthodoxes, l’utilisation des nouvelles technologies est aussi problématique, parce l’utilisation d’appareils électroniques est interdite pendant les fêtes. Il a fait sensation qu’un groupe de rabbins orthodoxes séfarades a exceptionnellement autorisé l’utilisation de l’application Zoom ou d’autres moyens de visio-conférence, sous certaines conditions.
Les consommateurs musulmans, en plus de devoir renoncer aux retrouvailles collectives, pourront avoir des difficultés à vivre l’esprit de générosité et de partage typique du ramadan. Dans cette période, les mosquées et les associations caritatives organisent des repas de rupture du jeûne et les partageaient avec les personnes dans le besoin qui ne seront plus possible. Des systèmes de distributions alternatifs respectueux des consignes sanitaires pourront être mis en place en véhiculant la générosité du ramadan vers des dispositifs de collecte de fonds en ligne.
Les médias et les entreprises à l’aide des consommateurs
Face aux difficultés, les consommateurs devront donc faire preuve de grande créativité et d’organisation, en simplifiant et adaptant leurs rituels de consommation. Il se peut aussi qu’en raison de la pandémie, de la souffrance généralisée et du deuil, l’envie de faire la fête soit affaiblie cette année.
Les médias traditionnels et les influencers des réseaux sociaux se sont déjà mobilisés pour soutenir ceux et celles qui, malgré tout, désirent encore célébrer. Il y a ceux qui proposent des inspirations, des astuces ou des tutoriaux pour pallier le manque de compétences, artistiques ou culinaires.
Les difficultés logistiques sont plus difficiles à surmonter, particulièrement pour les fermiers, les éleveurs, les producteurs artisanaux et les petits commerces. Au moment où certains remettent en question la globalisation des filières productives, il existe pourtant des opportunités pour établir des circuits courts qu’on pourrait promouvoir en tant qu’actes d’achats éthiques et responsables envers les producteurs locales. Cela à condition d’utiliser efficacement les réseaux sociaux pour la promotion et de créer des solutions partagées en partenariat avec d’autres producteurs pour la livraison à domicile.