À ce stade, ce sont pas moins de 3,9 milliards de personnes (soit la moitié de la population mondiale) qui est confinée.
Cette crise sanitaire mondiale impose déjà des changements drastiques pour les populations concernées. Et ses impacts se font ressentir à l’échelle de la planète – effondrement de l’activité économique, quasi-arrêt du trafic aérien, du commerce mondial et des chaînes d’approvisionnement ; ils déboucheront sûrement sur une crise économique et sociale.
Le confinement impose une série de contraintes sans précédent pour notre économie nationale ; les Français se sont recentrés, contraints et forcés, sur leur cellule de base (domestique et familiale) et se focalisent désormais sur les activités essentielles : (télé)travail, éducation et alimentation.
Du fait des restrictions de circulation, une grande majorité de personnes se tourne désormais vers les commerces locaux. En matière d’alimentation, cette situation, surtout si elle est appelée à durer, pourrait initier un changement majeur dans les habitudes de consommation et d’approvisionnement en denrées alimentaires.
Décryptons cette tendance émergente, les enjeux qui y sont associés mais également les défis à relever.
La résistance relative de la grande distribution
Si les Français continuent de se rendre dans les super et hypermarchés – l’une des rares occasions de sortir de chez soi en ces temps confinés –, les demandes de drive ont, elles, littéralement explosé (de + 60 à 100 % depuis le début du confinement), mettant à mal la logistique de la grande distribution alimentaire.
Alors que les services drive progressaient régulièrement (de l’ordre de 7 % par an), cette soudaine et brutale accélération génère de nombreuses difficultés : déstabilisation des chaînes logistiques des distributeurs, impossibilité de servir les clients, manque de personnel suffisant et créneaux trop rares.
Pour de nombreux Français, la découverte du drive en cette période inédite risque bien de ressembler au parcours du combattant. Ils seront alors tentés de se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement, et plus particulièrement les circuits courts alimentaires.
Pour les circuits courts, un test grandeur nature
Ces circuits sont traditionnellement représentés par les paniers paysans, les AMAP, La Ruche qui dit Oui ou les Locavores.
Ils maillent densément le territoire et n’hésitent pas à se rapprocher des villes, comme le montrent les drives fermiers ou les magasins de producteurs. Ils ont tous une promesse commune : rapprocher le producteur du consommateur pour lui offrir un produit frais et/ou de saison, avec le moins d’intermédiaires possible. La proximité est un atout essentiel dans la mesure où le consommateur est susceptible de connaître la zone de production ou bien de visiter l’exploitation quand cela est possible.
Dans le contexte actuel de repli sur soi, les Français sont de plus en plus à la recherche de produits de saison, à côté de chez eux et avec un minimum de contacts ou d’exposition. Autant de caractéristiques que remplissent les circuits courts : que cela concerne la distribution de paniers, la récupération de commandes ou l’approvisionnement auprès de distributeurs de proximité, tout cela peut se faire en quelques minutes et de façon plus sécurisée que dans un supermarché.
C’est aussi l’occasion de (re)découvrir la présence de paysans dans son environnement immédiat. C’est sans doute l’un des effets positifs de cette crise : les Français portent un regard beaucoup plus positif sur les agriculteurs, en raison de leur capacité à nourrir la population, alors que quelques semaines auparavant l’attention était encore mobilisée par l’agribashing dont le secteur agricole se dit être victime.
On peut également souligner ces multiples initiatives, portées par les collectivités territoriales comme en région Nouvelle Aquitaine par exemple, visant à rapprocher consommateurs et paysans locaux. La période actuelle représente ainsi une opportunité réelle de rapprocher la population française des productions agricoles locales ; rappelons que les circuits courts ne comptent en temps normal que pour 15 % de l’approvisionnement alimentaire du pays.
À cet égard, la période exceptionnelle que nous vivons constitue un véritable test de la capacité de ces circuits à satisfaire, en volume et en qualité, les consommateurs français.
Encore des obstacles à dépasser
Pourquoi aller chercher plus loin, dans un magasin anonyme, un produit à la provenance lointaine quand on peut obtenir un produit local, souvent de qualité et pour un prix proche… tout en rémunérant de façon digne son producteur ?
Comme le souligne la sociologue de l’Inrae, Yuna Chiffoleau dans une récente interview au quotidien Le Monde, « il s’agit ni plus ni moins pour les Français de reprendre le contrôle de leur assiette ».
Mais pour que ce changement s’opère, il faut répondre à plusieurs enjeux majeurs, et tout particulièrement des défis conjoncturels ; ces derniers concernent principalement de potentiels goulets d’étranglement logistiques, les productions locales étant calibrées pour une demande prévisible. La production agricole n’est pas immédiatement élastique : un déséquilibre offre/demande peut apparaître et générer des frustrations chez des clients potentiels.
Autre difficulté logistique du moment, soulignée par le ministre de l’Agriculture et le principal syndicat agricole), les agriculteurs manquent de bras. Si de nombreux paysans reçoivent de l’aide, des fruits et des légumes sont toutefois perdus faute de personnel. Et le recours à la main-d’œuvre étrangère, fréquente pour certaines productions, n’est plus possible du fait des restrictions de circulation.
On pourrait aboutir, on le voit, à une situation paradoxale : une demande en forte hausse mais une incapacité à aligner l’offre au regard de ces limites actuelles.
Sur le plan économique (et malgré une augmentation de la demande des particuliers), nombre d’exploitations restent fragilisées, plusieurs débouchés essentiels étant tout bonnement fermés : restaurants, marchés locaux et distribution alimentaire spécialisée. Cette situation pénalise les exploitations qui ne travaillent pas à 100 % en circuits courts. À l’issue du confinement, on pourrait alors assister à la disparition de nombreuses exploitations agricoles, ce qui limiterait la capacité à satisfaire une demande future.
Pour que le succès des circuits courts en cette période de pandémie ne soit pas qu’un feu de paille, l’attitude des consommateurs va être déterminante. Qui dit circuits courts, dit une offre de saison, plus restreinte. Cela va à l’encontre de la promesse de la grande distribution et de son offre très large, tout au long de l’année. Un argument auquel les consommateurs français demeurent extrêmement sensibles. Et restera aussi, pour conclure, la problématique de prix parfois supérieurs à ceux de la grande distribution qui repose la question de l’accès des circuits courts à une base plus large de consommateurs.