Interview de Jesus Del Rio, professeur à KEDGE sur le site Les Nouvelles Publications : Législatives 2024 : « Nous sommes dans une période très étrange »

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publication du 27/06/2024

Jesus del Rio est professeur à KEDGE Business School Marseille. Titulaire d’un PhD en géopolitique, il nous décrypte les enjeux économiques des élections législatives.

Les Nouvelles Publications : Pourquoi, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, la Bourse de Paris a-t-elle baissé et les taux d’intérêt de la dette ont-ils augmenté ?

Jesus del Rio : C’est lié à l’incertitude. L’économie en général n’aime pas du tout les incertitudes. Quoiqu’il arrive, nous ne sommes pas sûrs de ce qu’il va se passer dans les prochains jours et la bourse n’aime pas ça. Même chose pour les taux d’intérêt de la dette, même si, ici, ce n’est pas forcément dû à la dissolution de l’Assemblée nationale. La France a été dégradée par les agences de notation, ce qui fait forcément monter les taux. C’est mécanique.

Pourquoi l’économie prend-elle une place majeure dans ces élections législatives ?

La montée des extrêmes est liée aux questions d’insécurité, sans aucun doute. Mais elle est aussi liée à un problème très récent et massif : le pouvoir d’achat des Français. Pour la première fois depuis une trentaine d’années, nous avons vu que des événements géopolitiques, comme la guerre en Ukraine, avaient un impact direct sur le portefeuille. Donc, les personnes qui, habituellement, ne s’intéressaient pas trop à l’économie, se rendent compte qu’il y a des changements directs sur leur pouvoir d’achat.

Le monde économique prend peu à peu la parole sur ces élections législatives : pourquoi est-il inquiet ?

Car nous sommes dans une période très étrange dans l’histoire de la France. Pour la première fois, le pays se retrouve à court de cash. La plupart des revendications populaires, que ce soit à droite ou à gauche, sont liées au pouvoir d’achat. Toutes ces mesures prises en faveur du pouvoir d’achat, ça va à l’encontre de la réduction de la dette et en faveur de l’augmentation du déficit, etc. C’est une équation très difficile à résoudre. Le monde économique s’inquiète car les entreprises seront directement touchées.

Les mesures économiquement radicales, du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement national, sont-elles réalisables ?

Non et ils le savent. On se rend compte que tous les partis en campagne ne détaillent pas leurs mesures. Peu importe qui l’emporte, ils vont être confrontés à la réalité. La campagne électorale s’effectue en poésie, mais gouverner se fait en prose. Ils ont tous de bonnes intentions, mais personne n’explique son mode opératoire.

Les 577 députés vont être élus pour trois ans, l’économie française peut-elle changer en si peu de temps ?

Non, très difficilement, car les mesures qui seront prises vont être très souvent des contre-mesures : l’abrogation de la réforme des retraites, de la réforme de l’assurance chômage etc. Les effets, si on doit les ressentir, ça ne sera pas avant la fin de la législature. D’après moi, l’un des problèmes de beaucoup de mesures proposées, c’est qu’elles sont contradictoires par rapport à la réalité.

Pourtant, de nombreux économistes défendent les différents programmes présentés en insistant sur le réalisme des mesures : qui doit-on croire ?

La parole d’un économiste est à consommer avec modération. L’économie n’est pas une science exacte, mais une science approximative qui dépend beaucoup de l’état psychologique du système économique : les consommateurs, les entreprises, les syndicats, etc. Peu importe le programme choisi, s’il y a une attitude positive de la part de la société, si on croit vraiment aux mesures proposées, alors ça marchera.

Vu le panorama, je crois que l’arrivée du Rassemblement national ou du Nouveau Front Populaire, ça peut créer un petit coup de mou dans l’économie, indépendamment de leurs programmes. La polarisation crée toujours un état d’esprit un peu pessimiste, c’est rarement un élan de soutien populaire.

La niche fiscale des armateurs serait sur la sellette dans tous les programmes économiques, sauf dans celui du programme présidentiel. Quelles seraient les conséquences pour la CMA CGM ?

Le cas de la CMA CGM est très particulier, c’est un peu le fleuron des Français. La disparition de cette niche, je ne pense pas qu’elle aura un impact négatif sur l’activité générale de la CMA CGM, mais il y aura un impact sur la domiciliation fiscale du siège social.

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