Le « soft power » à la Netflix, plus proche d’Obama que de Trump

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publication du 14/01/2019

Fondée en 1997 en Californie, c’est en 2014 que la plate-forme Netflix débarque en France.
Sous couvert de divertissement, cette plate-forme est le bras très armé d’une politique « Obama compatible » et pas très « Trump friendly » !

En effet, Netflix propose des milliers de contenus, mais qui ne sont pas des plus neutres : la plate-forme favorise, avec quelques programmes phares, tout ce que le monde compte de minorités visibles ou invisibles. Des programmes clefs avec en vrac Orange is the New BlackGreenleafDear White PeopleGlowSense 8Grace et FrankieThe Good WifeMurderZoo

En quelques séries, Netflix devient le porte-parole des féministes, des Afro-Américains, des hyper séniors, des LGBTQ, mais aussi, dans une moindre mesure, de l’écologie…

Une plate-forme en forme de soft power, qui tente bon gré, mal gré d’influencer les représentations dominantes, qui permet d’adopter un point de vue différent que celui du blanc-hétéro-masculin. Les représentations sociales sont une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.

Les représentations participent de la construction du commun de même qu’elles sont des guides pour l’action. Dans ces conditions, les façonner est d’une importance essentielle. Loin des Charles Bronson, et des Clint Eastwood des années 70, Netflix est plutôt « gay-women-black friendly ». Un marqueur très palpable permettant de proposer un regard différent sur le monde, un regard qui n’est plus celui du héros blanc à la Schwarzenegger ; d’ailleurs, Kevin Spacey lui-même finira par laisser sa place à Robin Wright dans House of Cards

Orange Is the New Black, un gynécée féministe

Commençons cette revue de séries avec Orange Is the New Black. Une fresque au féminin en quasi–huis clos dans une prison américaine, où se mêlent les communautés hispaniques, musulmanes, noires, asiatiques, blanches, LGBTQ, mais aussi où sont présentées, de façon plus éparse, des femmes abimées, obèses, malades. Du réalisme au féminin et des parcours plutôt difficiles entre drogue, vols, tentatives d’assassinat.

L’héroïne, un peu WASP au départ, finit par se fondre parfaitement bien dans ce décor aux couleurs multiples. Un gynécée à l’écran, avec très peu de caricatures sexualisées, mais plutôt des fulgurances politiques.

Une transsexuelle emprisonnée qui se demande comment « être » au milieu de ces « vraies » femmes, une lesbienne un peu trop grosse, un peu trop vieille, un peu trop tatouée qui exprime ses désirs sans complexes, des femmes portant le voile, une jeune hispanique subissant un viol de la part d’un gardien, bref, des vies au féminin. Le tout, filmé avec bienveillance, respect et avec un regard à partir des femmes, pour une fois.

La communauté noire américaine à l’honneur

Tout continue avec Greenleaf, série produite par Oprah Winfrey elle-même. Une communauté afro-américaine qui gère des églises qui sont autant de business extrêmement lucratifs. Des méga églises gérées comme des entreprises : un niveau de vie délirant, du leadership, de la concurrence… Une vie à Memphis façon Dynastie mais dans une communauté noire-américaine qui a socialement réussi, et qui tente, au-delà des intrigues, de jouer les premiers de cordée. Exceptée la question religieuse, Oprah Winfrey livre ici une série très « black friendly », qui, de fait, bouscule les habituelles représentations dominantes.

Dans cette même veine, on peut aussi penser aux héroïnes à la Murderavec Viola Davis, ou au film « Une femme de tête » porté par Sanaa Lathan. Ces deux titres ont pour héroïnes deux femmes noires qui, au-delà de l’énigme, ne cachent pas leurs « spécificités » afro-américaines. Viola Davis porte ses perruques le jour, lissées et ordonnées, mais les enlève le soir venu et revêt parfois des foulards sur des cheveux crépus et extrêmement courts. C’était, selon Viola Davis, une façon de « montrer la réalité du quotidien de nombreuses femmes noires, la complexité de notre beauté ! »

Quant à la « femme de tête », elle finira par refuser le diktat du brushing lisse, du long, du cheveu frisé que l’on occidentalise… ce cheveu-là qui devrait disparaître derrière un lissage, lissage qui correspondrait au propre, à l’estimable, au bon code, au raffinement… comme le dénonce dans ses écrits la sociologue Juliette Smeralda.

Ces fictions donnent à voir ces multiples réalités corporelles. Sans artifice ou presque.

Dans ces deux opus, les spécificités, peu à peu, ne seront plus spécifiques justement. Elles seront la norme, juste visible parfois clairement revendiquée.

Une icône gay

La balade façon soft power chez Netflix se poursuit avec Grace & Frankiequi met en scène quatre personnages de plus de 75 ans. Deux hétérosexuelles, et deux hommes hétérosexuels – a priori – se révélant être homosexuels. Les hyper sénior sont les vrais héros de la série, et leur sexualité est régulièrement visible. Qu’elle soit hétéro ou homo. Oui, il y a une vie après 70 ans, et oui, ici encore sont montrées des images habituellement tues. Celle des sexualités du grand âge.

C’est aussi une façon d’introduire les sujets qui animent la communauté gay ; le mariage surtout et le lobbying pour faire avancer les mentalités. De Glow à Sense 8 en passant par The Good Wife dont l’héroïne est vue comme « une icône gay » par la Gay & Lesbian Alliance of Chicago, la plate-forme ne cesse de rendre classiques, presque banals ces enjeux sociétaux.

Cette imagerie façon Netflix permet justement de façonner d’autres représentations sociales, de raconter d’autres histoires, de proposer des regards différents, de faire bouger la norme bien sûr. Dans un pays au Président considéré comme raciste, sexiste et homophobe et où, sur un continent, ce genre de profil tend à se répéter, avec Bolsonaro, la plate-forme joue gros en valorisant très clairement ce genre de propositions alternatives.

Il y a du queer et du cyborg dans Netflix

Certes, on trouve aussi sur Netflix des regards classiques de la fiction américaine, mais, l’intersectionnalité – ce paradigme développé dans les années 90 par la chercheuse Kimberly Crenshaw – y est largement à l’honneur.

Cette grille de lecture préconise, afin d’analyser correctement l’environnement social, de regarder en même temps les questions sexuelles et de genre, celle de la classe sociale et celle de la race et des identités. Dans ce type de séries le pari « intersectionnel » est souvent relevé, même si la classe sociale, il est vrai, reste un peu le parent pauvre de la fiction made in the US.

Néanmoins, tout cela reste intéressant, car, il y a du queer, dans ce Netflix. Un goût pour des identités hybrides et différentes.

Il y a du queer, c’est-à-dire d’autres formes de subjectivation, ou, comme le dirait D. Haraway un esprit un peu cyborg règne sur cette plate-forme. Un esprit qui est en position liminale, à cheval sur les frontières, qui dépasse les binarismes et la pensée hétérosexuelle. Le cyborg correspond à une subjectivité toujours « bâtarde » résultant d’une fusion non stabilisée entre plusieurs niveaux d’identités.

Toute une imagerie qui nous oblige aussi à questionner la notion du pouvoir. Et surtout, avec Marie-Hélène Bourcier, d’abandonner une conception du pouvoir qui a partie liée avec les conceptions univoques et fixistes de la domination : celle d’un pouvoir souverain qui ne s’exercerait qu’en un seul lieu. C’est précisément cette vision du pouvoir qui, pour rassurante ou intimidante qu’elle soit, empêche de penser l’interconnexion des formes d’oppression et de résistances, des résistances qui ne sont autres que des formes d’empowerment.

Netflix, les médias, les représentations portées par ce genre de fictions et séries seraient-elles en train de participer d’un mouvement politique plus profond ? En tout cas, ces outils médiatiques restent plus rapides et plus flexibles que les classiques politiques publiques et agissent comme de véritables armes de soft power. Aux politiques maintenant de s’en saisir peut-être…

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