Les organes de gouvernance de l’entreprise doivent apporter plus que jamais soutien et conseils pour leur permettre de maintenir leurs activités. D’après Eustache Ebondo Wa Mandzila et son co-auteur Walid Ben-Amar, ces acteurs majeurs ont un rôle capital pour faire face aux bouleversements significatifs de fonctionnement des sociétés et organisations du secteur public et privé.
Quel est le rôle du conseil d’administration ou de surveillance dans la gestion de la crise ?
En tant qu’organe central de la gouvernance de l’entreprise, le conseil d’administration ou de surveillance se doit de soutenir l’équipe de direction afin de bien naviguer à travers les risques et incertitudes en cette période de turbulences tout en maintenant une séparation appropriée des rôles dans le système de gouvernance. Il est important que les administrateurs fassent preuve de souplesse, de pragmatisme dans la manière dont ils gouvernent leurs organisations et de bienveillance envers l’ensemble des collaborateurs et partenaires de l’entreprise. En dépit des turbulences actuelles, il est recommandé que les administrateurs adoptent une vision à long terme tout en s’acquittant de leur mission de contrôle de l’équipe dirigeante, notamment en posant les questions adéquates sur la gestion courante de la crise ainsi que les plans de reprise.
Plus précisément, le conseil d’administration ou de surveillance doit veiller à ce que la direction mette tout en œuvre pour préserver la santé et la sécurité des salariés. Il doit également s’assurer de sa viabilité financière face aux risques liés à la pandémie qui touchent à la fois son capital humain, sa chaine d’approvisionnement et ses flux de trésorerie. La direction financière sera appelée à procéder à la modélisation de plusieurs scénarii afin de permettre aux dirigeants et aux administrateurs de bien comprendre les implications actuelles et futures de la crise pour la rentabilité et la trésorerie de l’entreprise. Le télétravail, généralisé par les mesures de confinement, impacte les systèmes de contrôle interne et pourrait favoriser le risque de fraude. De plus, la crise sanitaire a bouleversé les chaines logistiques mettant en péril la capacité d’approvisionnement et de production de l’entreprise. Les comités d’audit et/ou de risques se doivent donc de mettre en place une politique active d’identification, d’évaluation et de gestion des risques nouveaux.
De plus, dans un souci de préservation des liquidités de l’entreprise le conseil devrait inciter les dirigeants, à travers la rémunération, à privilégier une vision à moyen et long terme permettant ainsi à l’entreprise de se préparer aux évolutions technologiques (nouvelle organisation de travail, digitalisation) et la disruption de leurs chaines logistiques qui lui seront probablement imposées au cours de la période post-pandémie. Le conseil peut être également amené à revoir la politique de dividendes. Récemment, plusieurs sociétés du CAC 40 ont annoncé des mesures visant à réduire temporairement les rémunérations de leurs dirigeants et à diminuer voire suspendre les dividendes versés aux actionnaires. Parmi ces dirigeants figurent Bernard Arnault de LVMH et ses administrateurs qui réduisent, de 30% leur rémunération variable pour 2020, Sophie Belon, Président du Conseil d’administration et son Directeur général Denis Machuel de SODEXHO qui réduisent de 50% leur rémunération pour les six prochains mois et les membres du comité exécutif acceptant une réduction de 10% leur salaire.
Enfin, le conseil est également en charge de surveiller la stratégie de communication de crise de la direction avec les salariés, créanciers, fournisseurs et actionnaires de l’entreprise. Il est essentiel de faire preuve d’empathie avec l’ensemble des partenaires de l’entreprise et de transparence dans la gestion de la crise.
Quels sont les effets de la pandémie du Covid-19 sur le reporting financier ?
L’organisation mondiale de la santé (OMS) n’ayant établi l’état d’urgence sanitaire que le 30 janvier 2020 et celui de pandémie que le 11 mars 2020, d’un point de vue comptable cette crise est considérée comme un ‘évènement postérieur’ à la date de clôture des comptes au 31 décembre 2019. A ce titre, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) ainsi que le Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables (CSOEC) ont rappelé qu’il ne sera pas requis d’apporter des ajustements aux comptes de l’exercice 2019 Il en sera autrement pour les exercices à clôturer au 31 mars ou plus tard dans l’année 2020.
Même s’il n’est pas requis d’ajuster les montants comptabilisés au titre de l’exercice 2019, les entreprises pourraient faire figurer dans les annexes les conséquences potentielles de la crise sanitaire sur leurs résultats d’exploitation (le chômage partiel, les effets sur les créances clients ou les instruments financiers). Compte tenu des contraintes actuelles, les autorités de réglementation ont mis en œuvre des mesures visant à faciliter le processus de préparation et d’approbation de l’information financière, notamment en prévoyant la tenue des assemblées générales virtuelles, et la prorogation des délais prévus pour l’établissement, l’arrêté et l’approbation des comptes sociaux. C’est ainsi que le géant européen de l’aéronautique Airbus a organisé le 16 avril 2020 à Amsterdam en plein confinement une assemblée générale ‘quasi’ virtuelle avec la présence de dix actionnaires seulement.
Par ailleurs, les sociétés cotées en bourse doivent communiquer publiquement et rapidement toute information importante susceptible d’affecter les flux monétaires de l’entreprise et en conséquence son cours boursier. Compte tenu de la forte incertitude associée à la pandémie, les entreprises doivent réévaluer de façon permanente son impact sur les résultats d’exploitation, la chaine d’approvisionnement et les flux de trésorerie et communiquer sans délai. L’autorité des marchés financiers (AMF) rappelle également que le rapport de gestion doit mentionner tous les facteurs de risques importants, incluant ceux découlant de la pandémie actuelle. Dans ce contexte, plusieurs entreprises du secteur touristique, fortement exposées aux conséquences de la pandémie, comme le croisiériste américain Carnival, le groupe hôtelier Accor et le groupe aérien Air France-KLM ont mentionné les facteurs de risques liés à la pandémie dans leur récent rapport annuel.
Quels sont les impacts pour les auditeurs externes ?
L’auditeur externe ou commissaire aux comptes a pour mission de certifier les états financiers annuels. Il apprécie ainsi la régularité, la sincérité et la fidélité de l’image donnée du résultat et des flux de trésorerie de l’entreprise ainsi que de sa situation financière à la clôture de l’exercice.
Pour parvenir à cet objectif, l’auditeur doit se familiariser avec les principales composantes organisationnelles de l’entité et identifier à priori les risques pouvant être détectés, afin d’orienter au mieux l’organisation de l’audit. Il est évident que la crise actuelle affecte le contrôle interne et aggrave le risque de fraude.
Or durant cette période tumultueuse, cet environnement de contrôle peut être impacté, notamment en raison de la réduction du nombre de collaborateurs ce qui peut potentiellement affaiblir les mesures de contrôle ou les rendre inefficaces. En période de crise sanitaire, l’auditeur se trouve ainsi confronté à des contraintes qui peuvent nuire à sa capacité d’obtenir les éléments probants. De même, la séparation des fonctions, principe clé pour tout système de contrôle interne, peut être rompue. Les procédures d’autorisation peuvent aussi être affaiblies et surtout les informations nécessaires à la gestion opérationnelle ou quotidienne peuvent faire défaut. Toutes ces faiblesses de contrôle interne sont susceptibles d’accroitre le risque de fraude à travers une présentation frauduleuse des comptes, surtout dans un contexte de détérioration de la rentabilité de plusieurs entreprises
Tous ces bouleversements dans l’organisation et le fonctionnement des cabinets d‘audit exigent le maintien d’une communication continue avec les organes de gouvernance afin de permettre aux auditeurs de comprendre pleinement les implications de la crise pour l’entité et cerner sa capacité à poursuivre son activité dans un avenir prévisible. En effet, il est légitime de s’attendre à ce que la crise sanitaire soit probablement suivie d’une crise économique aigue qui mettrait en péril la pérennité de plusieurs entreprises, notamment dans les secteurs du transport aérien, l’hôtellerie et la restauration. Il revient ainsi aux auditeurs en toute indépendance et objectivité, de conclure, sur la base des éléments obtenus, s'il existe une incertitude importante quant à la capacité de l'entité à poursuivre ses opérations.
Les auditeurs français privilégient encore la prévention des difficultés et l’accompagnement de leurs clients à travers les différents programmes de soutien mis en place par le gouvernement, à la procédure d’alerte habituelle qui ne semble pas être bien adaptée à la phase actuelle de la crise. Il n’en demeure pas moins que l’auditeur doit demeurer vigilant quant à la fragilité de certaines entreprises, voire secteurs entiers d’activité.
La pandémie du Covid-19 est un défi sanitaire exceptionnel avec des conséquences économiques et sociales significatives. Elle bouleverse à la fois les formes de travail, la production de biens et services ainsi que les modes de direction et de contrôle des organisations. La survie de celles-ci dépendra de leur capacité de résilience dans ces périodes de turbulence et d’anticipation des opportunités nouvelles qui pourraient en découler.
Eustache Ebondo Wa Mandzila et Walid Ben-Amar sont à votre disposition pour toute demande d'interview ou reportage sur ce sujet.