Dans « Le meilleur des mondes », Aldous Huxley décrit un futur dans lequel les nouvelles technologies pourraient augmenter nos sens, les « images stéréoscopiques seraient bien plus réelles que la réalité ». Ce futur n’apparaît pas si éloigné. Nous pouvons aller au cinéma voir des images en 3D, sentir des vibrations sur nos sièges ou encore la pluie sur notre visage. Ces technologies ne s’arrêtent plus aujourd’hui aux salles de cinéma. Elles peuvent également servir à améliorer l’expérience des consommateurs sur internet, à travers ce que nous avons appelé le « marketing sensoriel digital ».
Créer des sensations, même virtuelles
A priori, les options pour stimuler les sens du consommateur en ligne peuvent paraître limitées. Il n’est généralement pas possible de toucher, de sentir ni de goûter les produits. Cependant, notre cerveau est capable, lorsque nous sommes exposés à des images, de revivre des émotions et des perceptions en s’appuyant sur nos expériences passées. Lorsque nous regardons une image de hamburger, notre cerveau réactive approximativement les mêmes aires cérébrales stimulées durant la consommation, ce qui produit des sensations similaires. A travers les nouvelles technologies comme la réalité augmentée ou la réalité virtuelle, il est possible de faciliter ce processus d’imagerie mentale. Ces technologies permettent de faire pivoter des objets en 3D, de zoomer sur ces derniers ou encore d’essayer une nouvelle robe à travers un miroir virtuel. Par exemple, la société Kabaq propose à ses clients de se représenter les plats directement dans leur assiette, avant de commander, ce qui les aide à vivre par anticipation l’expérience de consommation. La stimulation de l’imagerie mentale permet ainsi de compenser le besoin de toucher ou de goûter les produits, que peuvent ressentir certains consommateurs lors d’achats en ligne.
Du plaisir visuel à la satiété digitale
Comme les pâtisseries devant les vitrines des magasins, les images en réalité virtuelle n’aident pas qu’à faire des choix, elles peuvent aussi stimuler l’appétit. Nous avons ainsi montré, dans une étude en neuro-imagerie, que le fait d’exposer des individus à des vidéos de personnes en train de saisir de la nourriture (plus particulièrement de la junk food), avec une prise de vue donnant l’impression d’être à la place du protagoniste (comme le permet la réalité virtuelle), cela activait davantage les aires gustatives du cerveau liées au plaisir alimentaire qu’une prise de vue standard. Cela ne veut pas dire que la stimulation digitale des sens amène nécessairement à une surconsommation. Elle peut même permettre d’acquérir de meilleurs réflexes alimentaires. Dans une autre étude, nous avons mis en évidence qu’amener les individus à se représenter mentalement le plaisir sensoriel de consommer des fruits et des légumes facilitait le choix de ces aliments, en stimulant les aires du cerveau associées à la fois au self-control et au plaisir. Autre constat, exposer un consommateur à des images de grandes portions de nourriture (frites, pizza, bol de céréales) peut avoir un effet rassasiant et diminuer les quantités consommées.
Marketing social et nudge technologique
Dans une optique de marketing social, les nouvelles technologies multi-sensorielles pourraient être utilisées pour « nudger » les consommateurs.Les nudges amènent les individus à changer leurs comportements à travers des suggestions indirectes (graver une mouche dans les urinoirs pour aider les hommes à mieux viser, réduire la taille des assiettes pour amener les individus à se servir de plus petites portions…). De la même manière, les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de changer virtuellement la taille de la nourriture (agrandir la taille d’un cookie), créant une satiété virtuelle. Un autre système appelé « Meta Cookie + » permet à l’utilisateur de changer la saveur d’un biscuit en manipulant virtuellement son apparence et en diffusant différentes odeurs (chocolat, fraise…). Si on peut se demander s’il serait bénéfique d’améliorer artificiellement la saveur d’un produit à faible qualité nutritionnelle, un tel système pourrait en tout cas servir à rendre les salades plus appétissantes et à aider les individus à garder une alimentation saine. Les technologies sont là, reste à déterminer l’usage que nous souhaitons en faire.