Mercosur : les agriculteurs soumis à une concurrence déloyale et à des contradictions toujours plus fortes

Alimentation, Vin & Hospitalité

publication du 22/11/2024

Xavier Hollandts, professeur à KEDGE et Bertrand Valiorgue, professeur à l'EM Lyon Business School, analysent les conséquences du traité de libre échange Mercosur sur l'agriculture européenne.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay) pourrait être adopté en décembre 2024 par l’Union européenne. En France, les agriculteurs français se mobilisent pour s’opposer à cette décision. Les normes sanitaires et environnementales imposées aux agriculteurs européens ne sont pas respectées par les pays du Mercosur. Cette différence a des conséquences importantes sur les coûts de production. L’Europe envoie donc un message contradictoire, demandant aux agriculteurs de respecter des normes strictes tout en ouvrant ses portes à des produits bien moins contrôlés.

L’agriculture française (et européenne) est l’une des plus sûres au monde grâce aux normes sanitaires et environnementales imposées par le régulateur français et européen.

Une simple comparaison des pratiques agricoles actuelles avec celles des années 1990 permet de prendre la mesure de ce saut qualitatif (abandon de certaines molécules, prise en compte de la biodiversité, qualité de l’alimentation du bétail, par exemple).

On a tendance à oublier que ces démarches d’amélioration ne se réalisent pas sans investissements ni surcoûts. La substitution d’une technique de production par une autre n’est pas qu’un simple changement d’habitude.

C’est un investissement, un apprentissage et un risque nouveau qu’il faut apprendre à gérer.

On oublie aussi régulièrement que ces investissements et surcoûts sont très difficilement répercutés sur les prix, du fait de la structure et du fonctionnement des marchés des matières premières agricoles.

Un agriculteur soucieux de l’environnement et de ses pratiques n’est pas un agriculteur qui est mieux rémunéré. C’est un agriculteur qui doit fournir un effort supplémentaire qui n’est pas intégré dans le prix de vente des denrées alimentaires qu’il produit.

Cette dure loi économique, que l’on retrouve dans le secteur agricole, porte le nom d’« effet tapis roulant ». Elle a été introduite pour la première fois par l’économiste Willard Cochrane.

« L’effet tapis roulant »

Pour rester compétitifs et présents sur les marchés, les agriculteurs doivent procéder à des investissements et à l’incorporation de nouvelles technologies qui les rendent plus productifs. Cela engendre une plus grande disponibilité de denrées alimentaires commercialisées sur les marchés des matières premières et une baisse concomitante des prix.

Il faut alors procéder à de nouveaux investissements et à l’incorporation de nouvelles technologies pour rester sur le marché. On a, à l’arrivée, des agriculteurs toujours plus efficients mais dont les rémunérations stagnent. Ils doivent toujours courir plus vite sur le tapis roulant sans que leurs situations économiques progressent pour autant.

Le même effet (tapis roulant) s’observe au niveau de la préservation de l’environnement.

Les agriculteurs incorporent des normes environnementales toujours plus exigeantes sans jamais bénéficier d’augmentation des prix.

L’UE en pleine contradiction

La signature du traité de libre-échange du Mercosur touche directement à cette question en faisant entrer sur le territoire européen et français des denrées alimentaires produites selon des normes bien moins strictes, voire tout simplement interdites aux agriculteurs hexagonaux : utilisation d’antibiotiques comme activateurs de croissance, variétés issues de la transgénèse, farines animales, recours à certaines molécules chimiques, culture de céréales génétiquement modifiées…

Statistiques

Cet accord pourrait contribuer à déverser sur le marché français et européen des matières premières agricoles et des denrées alimentaires moins chères et produites dans des conditions peu soucieuses de l’environnement et dans des proportions très significatives.

Liste des matières premières agricoles concernées par le traité Mercosur :

  • 99 000 tonnes de viandes de bœuf
  • 160 000 tonnes de viande de volaille
  • 25 000 tonnes de viande porcine
  • 180 000 tonnes de sucre
  • 650 000 tonnes d’éthanol
  • 45 000 tonnes de miel
  • 60 000 tonnes de riz

Si le traité venait à être ratifié, les filières et les agriculteurs concernés devront faire face à une concurrence déloyale et un dumping environnemental orchestré par l’Union européenne qui au même moment renforce ses exigences environnementales et sanitaires à l’égard des producteurs agricoles localisés dans la zone Europe.

Cette réalité brutale pousse les agriculteurs français et européens à descendre dans la rue afin de dénoncer une concurrence déloyale, réalisée au détriment de l’environnement et de leurs exploitations. L’Europe envoie un message contradictoire à ses agriculteurs, leur demandant de respecter des normes strictes tout en ouvrant ses portes à des produits bien moins contrôlés.

Elle accélère de la sorte la vitesse de rotation du tapis roulant tout en augmentant les charges que doivent supporter les agriculteurs. Ces derniers progressent de manière continue sur le respect de l’environnement sans que les marchés récompensent les efforts accomplis.

Quand les contradictions deviennent insoutenables

L’opposition des agriculteurs français à l’égard du Mercosur est emblématique d’une inquiétude croissante à l’égard des politiques menées par l’Europe.

La littérature sur le management des paradoxes a montré qu’à partir d’un certain niveau de contradiction, les acteurs exposés à des injonctions paradoxales s’engagent dans des dynamiques de repli et de contestation de l’autorité jugée comme étant à l’origine de la situation dans laquelle ils se retrouvent plongés.

Quand le niveau de contradiction est trop fort, la conflictualité devient la seule issue possible afin de retrouver une situation plus équilibrée et cohérente.

La contestation des agriculteurs à l’égard du traité Mercosur est révélatrice d’un niveau de contradiction fabriqué par les politiques de l’Union européenne que les agriculteurs français n’arrivent plus à supporter.

Ce niveau de contradiction est vécu avec intensité par les agriculteurs français qui mettent une pression politique sur leur gouvernement.

Il en va autrement dans les autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne, favorables à l’accord avec le Mercosur. Sans mouvement des agriculteurs à l’échelle de l’Union et sans veto d’au moins 4 pays de l’Union européenne, il est probable que le traité soit validé en décembre prochain.

Cette ratification placerait les agriculteurs français dans un grand désarroi et enclencherait de nouveaux mouvements de contestation susceptibles d’être de plus en plus virulents.

Frédéric Courleux, agroéconomiste et conseiller au sein du Parlement européen, est co-auteur de cet article

A lire aussi sur The Conversation