La dénonciation des violences systémiques de la police peut affecter certains policiers pétris de convictions républicaines. Des solutions existent pour les aider dans ce moment de crise intime, voire professionnelle.
Il y a quelques mois encore, des milliers de manifestants défilaient en brandissant des pancartes où le slogan « violences policières » revenait avec insistance. Ce terme, qui a remplacé celui de « bavure policière », traduit un basculement dans les perceptions : ce qui était autrefois perçu comme des actes isolés semble aujourd’hui s’inscrire dans un dysfonctionnement systémique.
Cette transformation affecte profondément l’image de la police, érodant sa légitimité aux yeux d’une partie du public et accentuant la défiance entre les citoyens et l’institution. Face à cette remise en question, beaucoup de policiers ressentent un profond décalage entre leurs motivations initiales et la perception de la population de leur rôle. Ce contraste, parfois douloureux, nourrit un sentiment de désillusion chez certains, tandis que d’autres y voient une raison de redoubler d’efforts pour prouver la valeur de leur engagement. L’enjeu, pour l’institution, est d’accompagner ces agents dans la réaffirmation de leur mission, tout en travaillant à restaurer la confiance et le lien entre la police et les citoyens.
Dans notre dernière étude, nous avons exploré l’impact des scandales médiatiques sur les policiers, en mettant en lumière les répercussions profondes que ces évènements ont sur leur identité professionnelle. Cette identité, véritable clé de voûte de leur engagement, repose sur trois interrogations fondamentales : « Qui sommes-nous en tant qu’organisation ? Comment nous distinguons-nous des autres ? Que voulons-nous devenir à l’avenir ? » Ces questions ne sont pas simplement existentielles voire philosophiques : elles structurent la manière dont les policiers perçoivent leur rôle, leur mission et leur appartenance à l’institution.
Plus qu’une profession, un engagement
Pour beaucoup, devenir policier est bien plus qu’une profession : c’est un engagement profondément ancré dans les idéaux de service public. Cela implique de protéger, assurer la sécurité des citoyens, promouvoir la justice sociale et contribuer au bien commun avec dévouement et intégrité. L’uniforme symbolise cet engagement collectif envers la société. Toutefois, cette vision se heurte aux critiques émanant des médias, des réseaux sociaux et d’une partie de l’opinion publique.
Les policiers se retrouvent confrontés à une dissonance émotionnelle : animés par des valeurs d’utilité publique, ils sont souvent assimilés à des comportements qu’ils ne reconnaissent pas comme les leurs. Cette fracture génère des émotions négatives, souvent douloureuses, mais elles façonnent aussi leur manière de se percevoir et de se relier à leur métier et à l’institution.
Parmi ces émotions, le sentiment d’injustice se fait particulièrement ressentir lorsque les fautes d’une minorité sont étendues à l’ensemble de la profession. Le rejet se manifeste face à une société qui semble ne plus valoriser leur contribution, tandis que certains policiers développent un sentiment de haine, alimenté par un ressentiment envers ceux qui remettent en question leur intégrité. Toutefois, selon notre étude, l’émotion dominante reste la honte.
La honte : une émotion complexe mais révélatrice
Contrairement à des émotions comme la colère ou la peur, la honte est introspective. Elle émerge d’un décalage entre les valeurs personnelles et les critiques externes. Chez les policiers, elle touche non seulement l’identité individuelle, mais aussi leur appartenance collective à une institution critiquée. Cette honte, liée à une confrontation entre les valeurs de justice et de service public des agents et l’image négative véhiculée par les scandales médiatiques, affecte à la fois leur identité personnelle et leur rôle de représentants d’une institution perçue comme défaillante.
Face à cette émotion, notre étude a identifié trois grandes stratégies adoptées par les policiers :
- La défense : certains adoptent une posture de riposte, exprimant leur mécontentement par une agressivité explicite, ce qui peut intensifier les tensions avec les citoyens et fragiliser les valeurs éthiques de l’institution.
- Le désengagement : d’autres agents, submergés par la stigmatisation, voient leur motivation s’éroder, perdent leur sens de la mission et se détachent de leurs tâches quotidiennes, menaçant ainsi l’efficacité de l’institution.
- La réparation : certains policiers transforment la honte en une opportunité de renouveau. Profondément attachés aux valeurs de service public, ces agents adoptent des comportements éthiques exemplaires, cherchent à améliorer leurs pratiques et à restaurer l’honneur de leur profession.
Ainsi, la honte, bien que douloureuse, peut devenir un levier de transformation personnelle et institutionnelle.
La motivation de service public : un levier essentiel
Au cœur de cette transformation se trouve la motivation de service public (MSP), moteur central du métier de policier. Ce désir de servir l’intérêt général confère un sens profond à leur engagement, mais les rend aussi vulnérables aux critiques. Notre étude montre que les policiers animés par une forte MSP traversent souvent une dissonance morale face à ces attaques.
Loin de céder au découragement, ils peuvent renforcer leur engagement en adoptant des comportements exemplaires. Valoriser la MSP au sein de l’institution est donc essentiel pour redynamiser les policiers et renforcer leur résilience face aux crises. Cela passe par la reconnaissance explicite des efforts des agents et la mise en avant de leur contribution à l’intérêt général.
Des espaces de dialogue pour transformer la honte
Pour transformer cette dissonance morale en moteur de changement, il est essentiel de mettre en place des espaces de dialogue et de soutien émotionnel, aujourd’hui quasi inexistants malgré les recommandations du Livre blanc de la sécurité intérieure. Des groupes de parole ou des cellules de soutien permettraient aux policiers de partager leurs frustrations, émotions et expériences dans un environnement bienveillant et dénué de jugement. Ces dispositifs contribueraient à désamorcer les tensions accumulées et favoriseraient un apprentissage collectif.
Les agents pourraient réfléchir ensemble aux valeurs fondamentales de leur métier et à l’évolution de leur mission. Ces espaces ne se limiteraient pas à un soutien individuel. Ils offriraient aussi un cadre pour renforcer la cohésion au sein des équipes et promouvoir une culture de résilience et de solidarité.
Un management réactif pour accompagner le changement
Un management attentif, réactif et empathique est indispensable pour accompagner les policiers dans les défis liés à leur métier. Cela suppose une écoute active, où les émotions des agents sont entendues et valorisées. Cette reconnaissance est cruciale pour créer un environnement de travail serein, propice à la résilience individuelle et collective. Une politique de transparence managériale face aux critiques externes est également essentielle.
Une institution capable de communiquer ouvertement sur ses défis et ses réussites renforce sa cohésion interne et sa légitimité publique. Ce dialogue transparent permet d’éviter que les agents ne se sentent isolés face aux pressions extérieures et les incite à maintenir leur engagement malgré les difficultés, en cultivant un sentiment de solidarité et de soutien au sein de l’organisation.
De la défiance à la réconciliation
Dans un contexte de défiance croissante envers la police, celle-ci se trouve à un tournant décisif. Elle doit répondre aux attentes sociétales en matière d’éthique et de transparence tout en soutenant ses agents dans leur quête d’équilibre identitaire. En reconnaissant la honte comme un signal plutôt qu’un fardeau, l’institution peut transformer la crise actuelle en une opportunité de renouveau. En réaffirmant les valeurs fondamentales du service public, en favorisant la parole collective et en valorisant les comportements exemplaires, la police pourra regagner la confiance des citoyens et de ses propres agents.
Au-delà du cadre policier, cette réflexion résonne également chez les salariés, qu’ils travaillent dans des organisations publiques ou privées, parfois confrontés à des enjeux réputationnels majeurs. Dans un environnement professionnel où la responsabilité sociale et le bien-être au travail sont devenus des priorités essentielles, il est crucial que les organisations instaurent des dispositifs permettant d’accompagner leurs collaborateurs dans une réflexion éthique sur les valeurs et la gestion des émotions, afin de favoriser un environnement de travail plus résilient et aligné avec les attentes sociétales.