Quels modèles financiers pour les clubs de football professionnel ?

Finance

publication du 19/09/2024

De la descente aux enfers des Girondins de Bordeaux au fiasco des droits TV en passant par les déboires financiers réguliers des clubs professionnels, le football tricolore se trouve dans une impasse économique. L'entrée en bourse, le recours à une société coopérative ou le plafonnement des salaires figurent parmi les solutions avancées par Radouane Abdoune, professeur de finance à Kedge Business School.

Les clubs de football ont vécu ces derniers mois au rythme des spéculations autour des offres financières proposées par les diffuseurs pour s'adjuger les droits TV de la Ligue 1 pour la période 2024-2029, dans un contexte où leur modèle économique est fondé sur deux principales sources de revenus qu'ils ne maîtrisent pas souvent : les droits TV et les transferts de joueurs. Ainsi, entre manque d'attractivité, concurrence des autres championnats européens pour s'attacher les services des joueurs les plus talentueux et difficultés financières rencontrées par les principaux diffuseurs, la Ligue 1 voit la valorisation de ses droits inéluctablement baisser et les fragiles équilibres budgétaires et financiers des clubs perdurer. Conséquences des difficultés à commercialiser un produit qui reste malgré tout de qualité mais manquant terriblement d'attractivité dans un contexte où la performance sportive a paradoxalement pris le dessus sur les objectifs financiers et organisationnels.

Ces difficultés ont transformé les clubs français en clubs formateurs par excellence et principaux pourvoyeurs des clubs européens en jeunes joueurs talentueux, sans possibilité de les retenir. Ce qui empêche en retour la Ligue 1 de devenir un championnat de référence en Europe capable de proposer un produit attractif auprès de diffuseurs et des sponsors de renommée et de permettre aux clubs français de gagner des titres majeurs. De plus, dans un pays où les sports collectifs se portent très bien, le football se retrouve concurrencé, ce qui limite la portée de sa notoriété et l'obtention de revenus supplémentaires.

Le constat

Les difficultés financières des clubs ne datent pas d'aujourd'hui, elles se sont accentuées depuis la révolution causée par l'arrêt « Bosman » datant de 1995 et qui permet à un joueur ayant honoré le contrat le liant à son club de partir libre dans un autre club et sans indemnité de transfert. Pire, cet arrêt supprimait surtout le quota de trois joueurs étrangers ressortissants de l'Union Européenne dans un même club, ce qui a déclenché une course à la signature des meilleurs joueurs pour constituer les meilleurs effectifs possibles. Depuis, les clubs français subissent de plein fouet une inflation majeure qui impacte les transferts et les salaires des joueurs ce qui les rend peu attractifs par rapport à leurs homologues européens.

Les propriétaires n'ayant pas su s'adapter à ce risque et ayant augmenté leurs dépenses à la recherche de talents sont devenus la principale cause de l'effondrement de certains clubs (FC Sochaux, CS Sedan, FC Girondins de Bordeaux...). La mise en place du fair play financier en 2011 a accentué la pression en obligeant les clubs à faire de l'équilibre budgétaire la pierre angulaire de leurs modèles financiers tout en limitant les marges de manœuvre des actionnaires qui n'ont plus le droit de combler, avec leurs fonds personnels, les éventuels déficits budgétaires.

De la relégation à l'insolvabilité...

Dans un contexte où la recherche de la performance sportive est devenue la norme, une série de résultats sportifs négatifs peut conduire à l'insolvabilité, et ce, quelle que soit la rigueur financière adoptée par le club. Ainsi, le système de promotion et de relégation est devenu l'une des principales causes d'insolvabilité des clubs. De plus, les clubs participants à des compétitions européennes croulent sous des coûts salariaux élevés, ce qui les fragilisent encore plus. L'endettement, très sollicité par les clubs, est le moyen de financement le plus courant et qui peut causer l'insolvabilité dans un contexte de taux d'intérêt élevés. Il convient aussi de noter que le renforcement du rôle de la DNCG (direction nationale du contrôle de gestion) découle parfois sur des sanctions qui peuvent conduire à la relégation et entraînent souvent des problèmes financiers plus graves.

Vers quels modèles financiers ?

Les modèles financiers des clubs ont évolué pour s'adapter à leur structure de propriété qui s'est transformée au fil du temps, ce qui a permis aux clubs de passer d'une propriété locale souvent assurée par des figures locales à des entreprises voire des multinationales spécialisées dans le divertissement et les médias capables d'accompagner leur développement dans le cadre d'une stratégie d'internationalisation. Les clubs de football sont des entreprises qui fonctionnent avec des prévisions de ressources financières mais le modèle financier actuel n'est plus viable. Ils doivent désormais s'inspirer de ce qui se fait ailleurs et développer une nouvelle structure financière, quitte à donner davantage de responsabilités aux supporters.

L'introduction en bourse semble être une bonne alternative car plusieurs études ont démontré que les clubs cotés en bourse ont amélioré leur discipline financière et leurs performances économiques après l'introduction. Il a été constaté que les clubs cotés en bourse disposent d'une meilleure santé financière que ceux appartenant à des propriétaires privés. La cotation en bourse permet de faciliter l'entrée au capital d'actionnaires/supporters et d'investisseurs notamment étrangers en quête d'opportunités d'investissements. Sans oublier que la bourse peut exercer un pouvoir disciplinaire sur l'équipe dirigeante que les instances réglementaires ont du mal à appliquer pleinement.

Dans le même registre, la création d'une société coopérative d'intérêt collectif pourrait être une bonne formule pour sauver et viabiliser les clubs de football rencontrant des difficultés économiques et financières. De plus, cette structure a l'avantage de permettre aux clubs de développer une logique partenariale globale auprès des différents acteurs locaux (supporters, collectivités territoriales, partenaires) autour d'un projet sportif. Elle permet aussi de transformer les participants en de vrais acteurs au lieu de simples spectateurs en leur accordant un rôle actif dans la gouvernance de la structure et de transformer en réserves l'essentiel des potentiels résultats financiers (au moins 57,5%).

Une rigueur économique

Quel que soit le modèle financier adopté, l'instabilité financière des clubs ne peut être limitée que grâce à l'adoption d'une philosophie globale et une transformation économique fondées sur la réduction des passifs courants et la mise en place d'un plafonnement des rémunérations avec des salaires plus bas et des primes supplémentaires indexées sur la performance sportive

Les clubs doivent également réaliser une transformation « industrielle » en investissant massivement dans les actifs intangibles, tels que le talent des joueurs, les entraîneurs, les médecins et le management, ce qui contribuerait à améliorer la performance sportive, la rentabilité financière et limiter l'insolvabilité.

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