Guerre à Gaza: Vers un nouveau choc énergétique ?

Commerce International

publication du 05/12/2023

Cet article a été co-écrit avec Amine Loutia, professeure associée à ESC Clermont Business School

Le conflit actuel entre Israël et le Hamas exacerbe une nouvelle fois les tensions géopolitiques déjà intenses au Moyen-Orient. Les effets sur l’échiquier international sont notables et de grande ampleur : Économie mondiale, Droits humanitaires, Relations diplomatiques et marchés énergétiques entre autres … Cette situation rappelle les déclencheurs des chocs pétroliers des années 70 et menace la stabilité des marchés énergétiques en l’occurrence. Cependant, au regard des prix du pétrole (principale énergie fossile), il est indéniable que ce marché est plutôt stable avec un prix du baril qui fluctue actuellement entre 77$ et 92$/baril depuis le début du conflit, en ligne avec son prix d’équilibre basé sur les fondamentaux du marché, estimé à 83 $/baril. Comment comprendre ce contraste et quelles perspectives pour le marché énergétique (fossile comme renouvelable) imaginer si le conflit perdure ?

Le marché comme reflet des perspectives de la situation de l’offre et la demande

Plus d’un mois depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, les marchés de l’énergie semblent imperturbables et tendent à la stabilité des prix pour atteindre 80,59 $/b (28/11/2023) soit une variation hebdomadaire de 1,25%. Cette situation contraste avec la réaction des marchés lors des précédents conflits impliquant Israël et la Palestine. Nous avons toujours en mémoire le choc pétrolier de 1973 dont le principal déclencheur était un précédent conflit Israélo-palestinien. Aussi, on peut se poser la question de ce contraste et des perspectives sur le marché énergétique si le conflit perdure et gagne en intensité.

Les marchés énergétiques et en particulier pétroliers sont des marchés principalement influencés par l’équilibre offre-demande. Aussi, tout événement ou rumeur liés à l’offre et à la demande feront augmenter ou descendre les prix. Lors des précédentes crises pétrolières et en particulier celle de 1973, les États-Unis avaient dépassé leur pic de production et avec la décision de certains pays influents de l’OPEP (l’Arabie Saoudite en particulier) de réduire la production graduellement et d’augmenter les prix simultanément, les craintes sur l’approvisionnement nécessaire au développement économique commencent à poindre. C’est cette perspective d’un déséquilibre entre une offre plus restreinte et une demande toujours plus forte qui a mené à une crise pétrolière via la hausse des prix.

A but de contraste, à la suite de la pandémie du Covid, les marchés énergétiques (en particulier pétroliers) ont réagi brutalement avec une baisse vertigineuse des prix avec des indices pétroliers affichant des valeurs négatives avec un cours du Brent à 22$/baril, soit une baisse estimée par l’Agence Internationale de l’Énergie à -30 %. Un niveau jamais atteint depuis 2002. En effet, le coup d’arrêt provoqué par les confinements successifs a diminué drastiquement la demande menant à cette réaction des marchés.

La faible réaction des marchés semble indiquer l’absence de craintes quant à une potentielle disruption de l’approvisionnement des matières premières énergétiques. Comment interpréter cette réaction ? Une partie de la réponse est le développement historique de ce conflit à rebondissements et l’autre partie est liée à la structure des marchés elle-même.

Les nombreux conflits entre Israël et ses voisins (notamment l’Égypte) ont changé la géopolitique locale et internationale autour de cette zone. Au niveau local, nous pouvons voir dans les accords de coopération gazière avec la Jordanie et l’Égypte en 2017 et 2020 respectivement, comme un changement majeur au regard de la configuration des années 70. En effet, des dirigeants comme Jamal El Nasser et Mouammar Kadhafi prônaient un nationalisme arabe exacerbé et toute collaboration avec l’état d’Israël n’a jamais été envisagée. Le résultat de ces conflits a été pour ces pays une longue route pour la collaboration et une confiance de fait. Au niveau international, les chocs pétroliers ont rebattu les cartes et ont changé la vision américaine sur le sujet de fait aussi. Face à une demande énergétique de plus en plus importante et une offre qui peut être réduite par ce conflit, l’attitude des États-Unis a aussi évolué pour assurer une stabilité énergétique.

Avec ces éléments en main, nous pouvons désormais penser les conséquences sur le marché énergétique global si le conflit s’enlisait.

Et si le conflit persistait et s’intensifiait ?…

Il est toujours très difficile de voir toutes les conséquences d’un événement mais nous pouvons entrevoir certaines conséquences immédiates.

Il est indéniable que le monde d’aujourd’hui est plus énergivore comparé aux années 70.

Avec le développement de certains pays comme la Chine ou encore l’Inde, la demande en énergie est à des niveaux jamais enregistrés auparavant. De plus, nous envisageons un monde de plus en plus digitalisé et donc une demande électrique très importante. Si ce conflit s’enlise, nous pouvons penser que beaucoup de circuits d’approvisionnement risquent d’être coupés. Ce scénario est d’autant plus possible en vue des liens probables entre le Hamas et certains pays de la péninsule arabique et l’Iran. Ces pays font partie des plus grands exportateurs de pétrole au monde. Ceci est d’autant plus le cas de l’Arabie saoudite qui a une capacité de production excédentaire par rapport à d’autres pays très dépendants de l’exportation pétrolière. Aussi, réduire sa production est toujours aussi possible comme ce fut le cas dans les années 70.  C’est cette possibilité qui peut expliquer « l’attentisme » des marchés qui, certes, opèrent comme d’habitude mais surveillent de près le développement de la situation et des potentiels interventions des autres puissances de la région.

Depuis les années 70, beaucoup de pays du bloc occidental (comme les pays de l’Union Européenne) ont développé des sources alternatives d’énergie comme le Nucléaire en France ou plus récemment ce grand élan vers de l’énergie renouvelable basée sur le solaire, l’éolien et l’hydraulique. Cela dit, à l’occasion de la guerre Russie-Ukraine (toujours en cours), nous avons pu constater la panique des marchés indiquant que ces options ne sont pas suffisantes pour alimenter nos économies très énergivores.

A l’opposé des années 70 et leur suite, nous pouvons espérer une redirection plus massive des investissements vers des solutions plus durables capables de constituer une vraie alternative. Aujourd’hui, cela ne semble pas encore le cas.

Quoi qu’il en soit, il est certain que les jours à venir seront propices à nous indiquer la direction que prendront les marchés énergétiques. Il semble, cependant, que le moment est à l’attention et à la surveillance des derniers développements de la situation dans la région. L’approvisionnement semble pour le moment non menacé au regard du peu de réaction des marchés. Il est, par ailleurs, clair que le développement de ce conflit peut constituer un facteur dans la déstabilisation des équilibres observés aujourd’hui.

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