LE POINT DE VUE DE L’EXPERT – 11.05.2020
COVID-19 – Entre danger et illégalité :
EDF sous-traite 80% de la maintenance de ses centrales
Olivier Soria, Enseignant chercheur en droit des affaires, droit social et droit de l'environnement, KEDGE
Le constat est glaçant, depuis le confinement la plupart des salariés présents sur les sites électronucléaire et hydraulique sont des intérimaires embauchés par les sous-traitants d’EDF, des personnels rarement formés pour gérer l’ensemble des procédures en cas de crises de fonctionnement. Olivier Soria se plonge dans le droit du travail et révèle les dessous de ces zones interdites.
Depuis les années 2000, EDF a mis en place un dispositif qui permet à l’électricien de faire face, avec 25 % des effectifs en moins, à des pandémies de type grippe, et deux à trois semaines avec 40 % de personnes en moins. Mais avec le Covid-19, c’est avec 75 % d’effectifs en moins que les centrales nucléaires doivent fonctionner, car le plan ne prévoyait pas le recours massif au droit de retrait, aux arrêts maladie et à la fermeture des crèches et des écoles, contraignant les parents à garder leurs enfants (de moins de 16 ans).
Effectif réduit sur site
À la mi-mars, EDF a dû modifier ses procédures de contrôle de radioactivité après l’exercice par quelques salariés de leur droit de retrait pour cause de crainte de contamination virale. Le groupe a placé en télétravail tous les agents relevant des fonctions supports et tous les ingénieurs.
Seuls, les agents chargés de la protection de la centrale (pilotage et surveillance des réacteurs), de la maintenance et des analyses environnementales sont restés.
Sous-traitance et travaux dangereux
Pour maintenir la continuité de la production d’électricité, EDF s’appuie donc sur un réseau de 160 000 sous- traitants qui participent au maintien, à la production, à la distribution, au traitement et au conditionnement des déchets.
Selon la législation française de la sous-traitance, pour des raisons évidentes de sécurité publique, il est illégal de laisser la gestion de 80 % de la maintenance du parc nucléaire français à autant d’intérimaires embauchés par des sous-traitants.
La réduction des effectifs et la lourdeur des mesures de protection sanitaire imposent la présence d’employés EDF pour assurer la sécurité des centrales. Hélas, depuis plus de vingt ans, une logique de réduction des coûts par la précarisation des salariés empêche ce mode de fonctionnement.
Ce que dit la loi
Les diverses mesures de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (TSN) reposent sur le constat partagé selon lequel le recours à la sous-traitance, surtout en cascade, crée une organisation du travail souvent génératrice d’interférences entre les activités, les matériels ou les installations des différents établissements concernés : « Ce phénomène constitue donc un facteur aggravant des risques professionnels et environnementaux qui accroît leur probabilité de réalisation (réponse à une QE publiée dans le JO Sénat du 14/04/2011 – page 964), ce qui dans le cadre d’une centrale nucléaire n’est pas acceptable vu les conséquences dramatiques d’un accident nucléaire. »
La définition juridique du contrat de sous-traitance
Le contrat de sous-traitance doit remplir trois conditions :
- Il est nécessaire d’avoir l’accord préalable du maître d’ouvrage qui accepte les sous-traitants ;
- Il faut ensuite que les sommes dues aux sous-traitants soient garanties par un cautionnement ;
- Enfin, il faut que les tâches effectuées par le sous-traitant soient spécifiques, c’est-à-dire ne pouvant être exécutées techniquement par le donneur d’ordre.
Le contrat de sous-traitance ne consiste pas dans la vente d’une simple prestation, mais d’une prestation accompagnée d’un suivi de compétences particulières qui, sans elles, rendent d’une part inutilisable la prestation de service et, d’autre part, que cela se fasse dans le cadre de conditions de formes et de fonds définies par la loi de 1975.
A croire que les 80 % des sous-traitants d’EDF maîtrisent des techniques que ne possède pas EDF en interne et justifient donc le recours à la sous-traitance. Mais, ici, c’est bien EDF qui détient la maîtrise totale des techniques mises en place dans les centrales nucléaires. Il apparaît donc que le recours aux sous-traitants n’est pas effectué en fonction d’un défaut de maîtrise interne, mais comme une technique de management des travailleurs afin d’exclure ces derniers des garanties de la convention collective d’EDF. Le recours massif à la sous- traitance peut donc être qualifié ici de totalement illégal.
Des conditions de travail dénuées de mesures de protection sanitaire
Des témoignages récents permettent d’avoir des informations sur les conditions de travail des salariés du nucléaire en cette période de confinement. Gilles Reynaud, président de l’Association de défense des sous-traitants de l’industrie nucléaire, s’inquiète du fait que les travailleurs n’ont pas de masques, pas de gel hydroalcoolique et ne peuvent pas respecter les distances de sécurité qui permettent de prévenir la propagation du Covid-19.
Le 26 mars dernier, l’Autorité de sûreté nucléaire a alerté la direction d’EDF sur la situation de ces salariés sous- traitants « en lui demandant de définir clairement quelles sont les activités de maintenance ou de logistique pour lesquelles une continuité est indispensable » et « de veiller à ce que les conditions de santé et sécurité soient communiquées et mises correctement en place ».
Pour l’instant, la situation ne semble pas avoir évoluée, les conditions de travail semblent même se dégrader au fil du confinement et de l’absence grandissante de personnel encadrant.
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A propos de Olivier Soria
Olivier SORIA est docteur en droit social et enseignant-chercheur à KEDGE pour les masters 1 et 2 en management environnemental. Intervenant dans de nombreuses conférences internationales comme le festival de géopolitique de Grenoble ou dans la COP 21. Il a écrit de nombreux articles et livres sur le droit de l'environnement.
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