LE POINT DE VUE DE L’EXPERT KEDGE– 16.04.2020
Crise du covid-19 et management :
Comment être un manager juste dans un contexte de travail inédit ?
Par Marc Ohana, Professeur de comportement organisationnel et de ressources humaines à KEDGE
De nombreuses organisations poursuivent leurs activités en cette période de crise sanitaire exceptionnelle. Elles ont toutes un point commun, leurs responsables d’équipes sont sous pression. En cette période de confinement, Marc Ohana met en évidence la responsabilité des managers dans le bien-être des collaborateurs, un facteur essentiel pour favoriser la productivité et la fidélité.
Dans ces conditions exceptionnelles, il n’est pas rare de voir des managers stressés et surchargés avoir moins d’égards envers leurs salariés. Nous pourrions trouver légitime d’excuser un manque de considération envers les collaborateurs ou même certains comportements déplacés durant cette dure période. Pourtant, cela devrait être l’inverse. En période d’incertitude, la justice du traitement que nous recevons de la part de nos supérieurs est encore plus importante qu’en temps normal.
L’estime de soi par les valeurs culturelles
L’homme a une anxiété relative à l’idée de mort. Pour se défendre contre cette anxiété, l’homme a besoin de croire en une immortalité littérale (la réincarnation) ou symbolique (réalisation personnelle ou professionnelle). Quelle que soit la forme d’immortalité, elle est constituée de valeurs culturelles que l’individu pense valides. Atteindre ou dépasser les attentes liées à ces valeurs permet aux individus de ne pas se sentir insignifiants et ainsi d’avoir de l’estime de soi. Ces deux mécanismes d’adhésion sont donc des remèdes pour contrôler l’anxiété liée à la mort.
Des travaux académiques ont montré que le simple fait d’interroger des passants devant des pompes funèbres activait significativement l’anxiété liée à la mort. Il est donc clair que le Covid-19 exacerbe bel et bien ce mécanisme de recherche de défense.
Le traitement juste comme rempart à l’anxiété
Être traité de manière juste par son manager procure un sentiment de justice et d’estime de soi. La justice est une valeur universelle et les individus apprécient qu’elle soit respectée. Un manager juste va permettre au collaborateur de prendre conscience que le système auquel il appartient est porteur de sens. Il lui offre ainsi une structure psychologique capable de limiter son anxiété. Par ailleurs, être traité de manière juste est un signal prépondérant de l’importance que nous avons dans un groupe et permet de développer son estime de soi.
Recevoir un traitement juste est donc particulièrement important en cette période anxiogène. Cela va entrainer de nombreuses conséquences :
- Pour les collaborateurs : traitement juste rime avec bien-être et vitalité, alors qu’être traité injustement conduit à des émotions négatives, du stress, des insomnies et des troubles musculo-squelettiques.
- Pour les managers : un salarié qui se sent justement traité sera plus engagé, productif et les aidera plus volontiers même si cela n’est pas obligatoire. Dans une entreprise, si les collaborateurs ont le sentiment que la valeur de justice n’est pas partagée, la sanction peut prendre diverses formes : travail contre-productif, sabotage, vol...
- Il y a quatre principes pour être un manager juste et l’ensemble des recommandations tient plutôt du bon sens.
Multiplier les relations interpersonnelles bienveillantes
En temps de Covid-19, bien que les situations professionnelles et personnelles soient extrêmement tendues, échanger sereinement avec ses collaborateurs est primordial. Il faut redoubler d’efforts pour ne pas que les collaborateurs se sentent incompris, ce qui aurait un effet délétère démultiplié par la situation anxiogène. Le manager doit donc contenir son stress et ses tensions pour ne pas que cela se répercute sur la qualité des relations avec leurs collaborateurs. Et pour ceux qui ne sont pas fans des nouvelles technologies, il faut encore plus mettre
la forme dans les échanges. Le confinement a fait tomber les barrières de la séparation entre vie privée et vie professionnelle. Il faut systématiquement s’enquérir du bien-être du collaborateur et de ses proches et proposer son aide pour accommoder le collaborateur dans sa gestion de la vie privée (ex : une demande de modification d’horaires pour aller s’occuper d’une personne dépendante).
Une communication transparente
Une deuxième manière d’être juste est d’être transparent dans la communication de l’information. Il est crucial de bien faire circuler l’information de manière uniforme à tous les salariés. Un point d’information (par email par exemple) tous les trois jours même si aucune nouveauté n’est à mentionner est un bon départ et permet au collaborateur de se sentir traiter justement. Bien évidemment, toute information organisationnelle importante relative à la situation doit immédiatement être transmise à tous les collaborateurs avant que les salariés ne l’apprennent par des bruits informels.
Récompenser les salariés
Traiter ses collaborateurs de manière juste équivaut à les récompenser au sens large. Le versement de la prime Macron de 1 000 ou 2 000 euros n’est pas obligatoire pour l’ensemble des salariés d’une l’entreprise. Choisir de ne pas la distribuer à des salariés qui ont travaillé pendant la période de confinement serait préjudiciable. Pour juger de la justice de leur récompense, les individus regardent ce qui se passe à l’extérieur de leur entreprise. Même si elle est très impactée financièrement, ils ne comprendraient pas pourquoi ils n’ont pas reçu cette prime bien qu’ils aient encouru un risque physique grave.
Se remettre en question
Finalement, être un manager juste consiste à appliquer des procédures justes pour tous les salariés, quelles que soient les affinités : mise en place du télétravail, souplesse des horaires pour ceux qui doivent garder leurs enfants à la maison... L’incertitude et l’arrivée progressive des informations conduisent aussi dans l’urgence à prendre des décisions jusqu’alors inédites. Le manager doit demander l’avis de ses collaborateurs et bien analyser toutes les informations plutôt que d’agir dans la précipitation. Une fois les décisions prises, il ne faut pas hésiter à revenir en arrière et corriger une erreur que l’on aurait commise.
En résumé, même si le confinement change profondément notre travail et notre manière de travailler, il ne faut surtout pas négliger de traiter justement ses collaborateurs. Cela devrait être une évidence. Après tout, Covid-19 ou pas, l’humain reste l’atout numéro un de nos organisations.
Marc Ohana se tient à votre disposition pour toute demande d'interview ou reportage sur ce sujet d'actualité.
A propos de Marc Ohana
Marc OHANA est professeur de comportement organisationnel et de ressources humaines à KEDGE Business School depuis 2010. Il a obtenu son habilitation à diriger des recherches à l’université de Paris Dauphine et son doctorat à l’université d’Aix-Marseille. Ses recherches portent principalement sur la justice organisationnelle, l’échange social, l’identité sociale et les organisations à but non lucratif. Il enseigne le leadership au niveau master et à des publics professionnels.
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