Les séries : entre géopolitique et Soft Power

Autre

publication du 27/10/2022

Le monde des séries intéresse la géopolitique à un double niveau : les fictions évoquent bien souvent les rapports de force mondiaux, mais, dans le même temps, chaque pays joue avec sa production sérielle afin de créer sa propre image, sa propre histoire. Il s’agit dans tous les cas de « guerre de l’information » comme le dit Saul Berenson, l’agent de la CIA de Homeland dans cette guerre d’un genre particulier allons voir du côté du « Soft Power ».

Les séries comme arme culturelle géopolitique

Le Soft Power, cette notion développée par Joseph Nye dans les années 90 est pivot dans cet univers en séries : chaque pays y va de son propre « story telling » et se donne à voir au monde dans des conditions qu’il peut maîtriser. Avec le Soft Power, l’idée est de miser, non sur les combats avec armes et drones, pour dominer le monde, mais sur des vecteurs culturels, une culture utilisée comme arme d’influence et de tentative d’hégémonie. Le monde des séries relance donc avec force cette question du pouvoir des objets culturels sur nos sociétés. Dans cet arsenal, il y a aujourd’hui – à la fois l’objet – les séries – mais aussi le médium – le diffuseur – à savoir la plateforme. Contenu et contenant ont toujours été liés, mais ce lien est encore plus vivace notamment avec les ADN – Amazon, Disney et surtout Netflix – qui entendent jouer leur partition dans le monde entier.

La domination occidentale des productions sérielles remise en question

Dans cette course à la diffusion et aux images, les Etats-Unis continuent de dominer le marché. Il faut dire que ce grand pays sait s’imposer au monde via ce pouvoir doux depuis longtemps : les 2 H de Harvard et de Hollywood et les 2 M de Macintosh et de Mac Donald sont là pour en témoigner. Cette hégémonie ne doit pourtant pas faire oublier l’essor spectaculaire d’autres régions du monde : la production de ces fictions reflète parfaitement notre environnement international devenu largement multipolaire. Dans cette course Asie, Afrique, Amérique du Sud et dans une moindre mesure l’Europe jouent chacun ses partitions.

Le boom des séries coréennes

En Asie, La Chine travaille plutôt en direction de ses habitants et de sa diaspora, avec des séries – par exemple Au Nom du Peuple – peu exportées – c’est un travail de soft power en interne. La Corée du Sud au contraire, aura su à partir des années 2000 déclencher cet « Hallyu », cette soif de Corée, en grande partie via les séries et notamment Winter Sonata. Le gouvernement comme les grandes entreprises sont parties prenantes de cette industrie – le placement de produit est d’ailleurs partout : La dernière série à grand succès The Penthouse met d’ailleurs en scène un nombre incalculable de téléphone pliables à la Samsung. La Corée montre un visage qui est loin des années de guerre et de pauvreté des années 50. Elle se donne à voir entre high-tech et traditions et fournit même des opus très politiques comme Squid Games. Cette Hallyu wave coréenne a son pendant japonais avec le « Cool Japan » grâce à un gouvernement qui investit massivement dans cette filière même si le Japon, a tendance à rester dans un dynamique plus nationaliste.

Les séries turques tirent leur épingle du jeu

Du côté de la Turquie d’Erdogan il est important de faire briller la culture néo-ottomane dans la grande région des Balkans à l’Europe en passant par le Moyen-Orient.

En 2018, Netflix proposait Diriliş Ertuğrul une série à très grand succès encensée par Tayyip Erdogan lui-même en tant qu’elle collait parfaitement à son projet de grande Turquie néo-ottomane. Fin 2020, est tout de même arrivé sur la plateforme Bir Başkadır, une série sur les tiraillements identitaires de la Turquie d’aujourd’hui ; une fiction qui n’épargne aucune des blessures de ce pays encore tiraillé entre laïcité, kémalisme et un erdoganisme qui se veut tout-puissant.

Ces quelques exemples montrent combien la série est outil de géopolitique au sens strict.
Dans cette bataille, Israël joue une carte importante avec des productions comme Fauda, le Nigéria n’est pas en reste, les pays scandinaves avec Occupied ou Borgen….  Les relations sud-sud sont aussi parfois très fortes : pour exemple, le Sénégal consomme des séries brésiliennes et vice et versa, des séries qui ne sont que très rarement doublées en anglais. Le grand concert des nations se retrouvent à porter de clic via les géants diffuseurs américains. Ce monde en séries révèle plus que jamais un monde devenu multipolaire, voire a-polaire ; dans tous les cas notre environnement est devenu extrêmement complexe depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et l’explosion du digital, une complexité que racontent les séries, ou que les fictions anticipent via des dystopies.

 

A lire aussi sur Le Monde des Grandes Ecoles